2.4.1.3. LE CRÉDIT FORMATION INDIVIDUALISÉ

Le Crédit Formation Individualisé se met en place en septembre 1989. Il s'inscrit tout à la fois en rupture et en continuité par rapport aux dispositifs précédents.

En rupture, car pour la première fois l'articulation du dispositif est pensée de façon globale et cohérente. Pour la première fois également le dispositif marque une volonté affichée de s'inscrire en réaction contre la sélectivité des mesures existantes. Il se constitue comme instrument de justice sociale et reprend donc le principe de discrimination positive avancé par Bertrand SCHWARTZ, l'auteur du projet. C'est l'idée de la deuxième chance, déjà très présente dans le discours de la promotion sociale dans les années 50 et 60. Enfin, le CFI se propose, également pour la première fois, de mettre en oeuvre une autre gestion du temps, où il s'agit de suivre le rythme du jeune et non plus d'imposer des parcours prédéterminés.

Mais le C.F.I. s'inscrit aussi dans la continuité des dispositifs précédents, en réactivant le principe de l'accueil-orientation-bilan-contractualisation qui sera mis en oeuvre par un "coordonnateur de zone" et activé par un "correspondant" identifié dans une structure d'accueil - Mission Locale ou PAIO. Il s'agira pour le "correspondant" de proposer un "bilan des acquis", d'aider le jeune à définir un "projet122 de formation", et d'assurer un "suivi personnalisé". Le C.F.I. reprend également le principe du "partenariat territorialisé" en créant les "comités de bassin d'emploi" animés par un "coordonnateur de zone". Enfin, le C.F.I. reprend le principe pédagogique de l'"individualisation" des parcours et de la "validation progressive" afin de mettre en oeuvre la volonté affichée de respecter le rythme des bénéficiaires123.

Les mesures mobilisées pour mettre en oeuvre ce dispositif seront les suivantes : - Les formations alternées proposées par les centres de formation (stages de Mobilisation Autour d'un Projet, stages de Préqualification, stages de Qualification : stages déjà mis en oeuvre dès 1984).

Deux catégories de public sont visées par le C.F.I.. Les jeunes primo demandeurs d'emploi ayant connu une période prolongée de chômage, et les jeunes demandeurs d'emploi sortis de formation initiale depuis plus d'un an sans avoir obtenu au moins le CAP ou le BEP. L'objectif est de toucher environ 100.000 jeunes par an.

Cette conception du "stage de formation" comme outil d'aide à l'insertion professionnelle suggère à Simon WUHL trois remarques. Premièrement, ‘<<elle part de l'hypothèse d'une crise économique temporaire. Les dispositifs de formation sont destinés à accompagner une politique active de l'emploi et de relance de l'économie>>’. Deuxièmement, ‘<<elle postule une action exclusive sur les demandeurs d'emploi et ne prend pas en compte les inadaptations au sein même des unités de production>>’. Enfin, ‘<<elle suggère une filière par étape pour l'insertion professionnelle : l'insertion, puis la formation/qualification, puis l'accès à l'emploi>>’ 124. On voit combien ces trois postulats de base, ont perdu, au fil des ans, leur pertinence, et combien il est nécessaire aujourd'hui d'interroger la problématique sociale de l'insertion dans des termes renouvelés.

à la fin des années 80 commence à s'opérer un changement dans le discours politique de la majorité de l'époque (gouvernement de Droite dans la période 86-88) qui rompt avec le discours du plein emploi et se risque même jusqu'à envisager l'insertion comme n'ayant ‘<<pas forcément vocation à conduire vers l'emploi mais>>’ ‘pouvant <<se contenter d'une finalité sociale complétée par l'accès à de petits boulots>’>125. Date également à laquelle les politiques se recentrent sur le "chômage d'exclusion", préfigurant la mise en place du Crédit Formation Individualisé, pour les jeunes, et du Revenu Minimum d'Insertion, pour les adultes.

On peut d'ores et déjà commencer à saisir toutes les ambivalences des politiques publiques visant l'"insertion". Il faut développer des dispositifs et initiatives pouvant améliorer l'insertion professionnelle des individus - jeunes et bientôt adultes - dans l'entreprise, en favorisant l'adéquation formation-emploi, tout en reconnaissant que l'accès de tous au marché du travail est une illusion qu'il faut rompre. Il faut "insérer", et pour cela il faut "former et qualifier" mais tout en sachant que le marché de l'emploi n'est plus à même d'absorber tout ce potentiel de main-d' oeuvre qualifiée, et bientôt surqualifiée.

En 1991, Thierry MANDON, alors député socialiste de l'Essonne, chargé d'un rapport sur "l'insertion professionnelles des jeunes", soulignait de la même façon : ‘<<Les plans successifs pour l'emploi des jeunes sont présentés en général comme des palliatifs au manque de formation ou d'expérience professionnelle. Ils apparaissent de plus en plus comme des dispositifs de réponse à une crise durable de l'emploi. Et l'on peut se demander, si cette politique n'accentue pas la période transitoire et instable de la jeunesse, voire même si elle n'institutionnalise pas cet état social.>’>126

C'est dans des termes similaires que Bernard EME interroge les politiques d'insertion mises en oeuvre jusque-là : ‘<<La notion d'insertion visait une articulation du revenu, du travail, de l'activité, de la formation, de la socialisation comme forme transitionnelle d'intégration et d'identité en dehors de la simple indemnisation ou des pratiques d'assistance>>’, mais : ‘<<Ces pratiques d'insertion ont fini par constituer de fait un "tiers secteur d'insertion parapublic" qui s'auto-reproduit, non valorisé sociétalement, très peu pris en compte par les entreprises, et de plus en plus instrumentalisé par les pouvoirs publics et les pouvoirs locaux comme une sphère fonctionnelle de régulation de l'exclusion>>’ 127 et ‘<<reste fondamentalement prisonnier de l'imaginaire salarial tout en devenant de plus en plus impuissant à permettre l'intégration sociale par le salariat>>’ 128.

L'année 1991 marquera la mise en place de l'"Exo jeunes", du Contrat d'Orientation et du Contrat Local d'orientation. Mais l'année 1991 marquera également l'élargissement du C.F.I. à de nouvelles catégories de public. Les "demandeurs d'emploi adultes" ainsi que les "salariés" pourront désormais également bénéficier du dispositif. Ainsi, contrairement aux Pactes Nationaux pour l'Emploi des Jeunes mis en place de 1977 à 1981, qui avaient dès 1979 intégré des mesures spécifiques pour le public féminin, le C.F.I. ne reprendra pas ce processus de catégorisation pour traiter les problèmes spécifiques des femmes, même si seront mises en place dans le cadre des stages de formation alternée des actions visant la "diversification de l'orientation professionnelle de filles". Or, cette situation paraît d'autant plus paradoxale que sur la période 1985-1989, période préalable à l'instauration du C.F.I., et à la décision d'élargir les publics visés par le dispositif aux "demandeurs d'emploi adultes" et aux "salariés", si le taux de chômage des femmes reste stable, celui des jeunes ne fait que diminuer. Ainsi, le taux de chômage des femmes reste stable, à 12,6 % en 1989 comme en 1985129, alors que le taux de chômage des jeunes hommes et celui des jeunes femmes ne fait que régresser sur la même période, passant de 24,5 % pour les jeunes hommes et 30,5 % pour les jeunes femmes en 1985, à 16,9 % pour les jeunes hommes et 24,2 % pour les jeunes femmes en 1989130. Cette observation rejoint le "Bilan de quinze ans de politique de l'emploi" paru dans Liaisons Sociales en mars 1991, où il est noté : ‘<<Le chômage des jeunes a sensiblement diminué de 1984 à 1989.(...). Depuis 1984, le nombre de chômeurs âgés de 18 à 21 ans diminue, surtout du fait de l'augmentation du taux de scolarité. En revanche, le chômage chez les jeunes âgés de 22 à 24 ans s'apparente plutôt à celui des adultes. (....). Les femmes ont moins bénéficié de l'amélioration de la situation de l'emploi que les hommes. Si de 1979 à 1984, le nombre des femmes inscrites à l'ANPE a moins augmenté que celui des hommes, la tendance s'est inversée depuis 1984. Depuis, la part des femmes inscrites à l'ANPE n'a cessé d'augmenter pour atteindre 53,1 % fin décembre 1989, contre 47,4 % en décembre 1984. Cette croissance touche plus particulièrement les femmes de 25 à 49 ans.>>’ Au regard de ces statistiques, il apparaît donc surprenant qu'en 1991 le public du C.F.I. soit élargi aux "demandeurs d'emploi adultes", dont le taux de chômage n'a pas progressé, mais pas aux "femmes", alors que la situation des femmes semble s'être, au contraire, détériorée.

De la même façon, alors que le public des jeunes femmes dans les dispositifs d'insertion a toujours été supérieur à celui des jeunes hommes, et ce dès la mise en place des premiers dispositifs (54,8 % de femmes dans l'opération 50.000 jeunes de 1975131, 52,4 % de femmes dans les dispositifs de 1982 à 1986132, 63 % de femmes au démarrage du CFI en 1990, 58,9 % l'année suivante en 1991133, et enfin 57 % en 1994134 après bientôt cinq ans de fonctionnement du dispositif C.F.I.) on peut s'interroger sur la faible prise en compte de cette donnée sociale dans la construction des "catégories" pertinentes de traitement social du chômage.

En 1992, le programme PAQUE (Préparation Active à la Qualification et à l'Emploi) vient compléter le dispositif du C.F.I. afin de toucher les publics les plus en difficultés d'insertion sociale et professionnelle. Prévu sur deux ans il devra toucher près de 70.000 jeunes.

En 1994 est expérimentée l'Aide au Premier Emploi des Jeunes (APEJ), formule qui réactive les mesures d'incitation à l'embauche des jeunes, tel que l'Exo jeune, par le biais d'exonération des charges pour les entreprises du secteur privé.

En 1996, le Contrat Emploi Ville entre en scène. C'est un Contrat Emploi Consolidé renouvelable 5 ans qui peut être signé à l'issue d'un contrat emploi solidarité, et ce uniquement dans le secteur public.

Enfin, en 1997, les emplois-jeunes, prévus sur une durée initiale de 5 ans viennent renforcer le dispositif des emplois-ville. Ils s'adressent à tous les jeunes de 18 à 26 ans quel que soit leur niveau de formation, et concernent exclusivement le secteur public.

On voit dès lors, comment depuis 1996, le gouvernement tente d'impulser une politique qui vise à limiter la précarisation professionnelle des jeunes, en instaurant, dans le secteur public, des mesures pensées sur une périodicité moyenne (5 ans), et ce afin de contrecarrer la tendance du secteur privé à multiplier les contrats de travail temporaires. Car en effet, corrélativement au phénomène social que constitue le chômage, c'est la précarisation du marché du travail qui menace à son tour la cohésion sociale. Le nombre d'emplois "atypiques" a été multiplié par deux entre 1985 et 1995, et en 1994 seulement 20 % des salariés en contrat à durée déterminée l'année précédente a été embauché en contrat à durée indéterminée dans la même entreprise135.

Notes
122.

Claudel GUYENNOT souligne que la notion de "projet" apparaît à la fin des années 70 lorsque la problématique de "l'insertion sociale" se substitue à celle de "l'insertion professionnelle". Il ne s'agit plus seulement de "placer" les jeunes sur le marché du travail mais de les aider à construire un "projet". Cf L'insertion. Un problème social, 1998, p 92-93

123.

Actualité de la Formation Permanente, Ed Centre Inffo, jan-fév 1990, n° 104, p 20 à 31

124.

1991, p52

125.

op cit, p49

126.

Liaisons Sociales, n°84/91, 21 aout 1991, p 3

127.

EME(B), LAVILLE(J.L.), 1994, p159

128.

op cit, p179

129.

Les Femmes, Contours et Caractères, Ed INSEE, 1991, p 119

130.

op.cit.

131.

Actualité de la Formation Permanente, Ed Centre Inffo, mai-juin 1976, n°23, p 9

132.

Guide des politiques de la jeunesse, Ed Syros Alternative, Paris, 1990, p 116

133.

Lettre du CFI, Ed Ministère du Travail, n° 9, déc 1992, p 9

134.

Données Sociales, 1996, p 139

135.

Données Sociales, 1996, p 125-126