2.4.3. INSERTION, DE QUI PARLE-T-ON ?

Les jeunes que j'ai évoqués jusqu'alors par bribes, ceux que nous "rencontrerons" lors de la dernière partie, font partie de ce que l'on a coutume de nommer les "jeunes en insertion". Il est en effet indispensable d'avoir à l'esprit que si le phénomène social que constitue "l'insertion professionnelle des jeunes" concerne, potentiellement, tous les jeunes de 16 à 25 ans, voire à 29 ans selon certains observateurs, seuls quelques-uns d'entre eux seront concernés par les mesures dites "d'insertion" ou fréquenteront les structures dites "d'insertion".

Il est en effet important de ne pas confondre "mesures d'insertion"149 et "structures d'insertion"150, qui toutes deux s'inscrivent dans un "dispositif d'insertion" toujours plus complexe. Si certains jeunes intègrent le marché du travail en recourant à des mesures d'insertion, tels que le contrat de qualification, le contrat d'adaptation, etc..., ils ne seront pas pour autant passés par une "structure d'insertion" telle que la Mission Locale. De la même façon, un jeune qui fréquente une Mission Locale ne bénéficiera pas nécessairement d'une mesure d'insertion. Les multiples secteurs de l'insertion se recoupent mais ne se juxtaposent pas.

Si la population potentielle des jeunes concernés par l'insertion professionnelle, c'est-à-dire tous les jeunes actifs, occupés ou demandeurs d'emploi, de 16 à 25 ans, représente environ 3 millions de jeunes en 1996, on peut estimer151 à environ 570.000 le nombre de jeunes concernés par les mesures d'aide à l'insertion, soit un peu moins de 20 % des jeunes actifs (environ 200.000 apprentis, 100.000 jeunes bénéficiaires du dispositif CFI, environ 200.000 jeunes en contrats d'insertion, et quelques 70.000 jeunes en Contrat Emploi Solidarité).

Ce sont les jeunes les moins qualifiés, et principalement les jeunes non diplômés qui représentent la grande majorité du public concerné par les mesures d'insertion. Issus pour la plupart d'entre eux des classes populaires152, ces jeunes sont au coeur de ce que Claude DUBAR a appréhendé en termes de processus de socialisation "postscolaire". Il sera donc intéressant d'observer non seulement, comment les dispositifs d'insertion participent au brouillage des frontières entre emploi, formation et chômage, mais également comment ils participent à la construction de temporalités sexuellement différenciées. Car en institutionnalisant la précarité professionnelle comme rapport généralisé au travail pour certaines catégories d'individus, il se pourrait que le problème même de la particularité des contrats de travail se dissolve, laissant place à d'autres types de difficultés. Nous verrons ainsi comment, pour les jeunes rencontrés, le recours aux emplois précaires semble une étape de leur parcours, "qui va de soi" et ne semble pas "faire problème", mais comment à l'inverse d'autres formes de "fragilités", liées à la gestion des temporalités tant professionnelles que sociales, semblent problématiques et objet de souffrances multiples.

Notes
149.

Stages de formation alternée du CFI, Contrat d'Apprentissage, Contrat de Qualification, Contrat d'Adaptation, Contrat d'Orientation, Contrat Emploi Solidarité, Contrat Initiative Emploi, Emploi-Jeunes.

150.

principalement les Missions Locales et PAIO, mais aussi également les Entreprises d'Insertion et les Associations Intermédiaires.

151.

par le recoupement de diverses sources : INSEE, Données Sociales, CFI.

152.

Cf GUYENNOT (C), L'insertion. Discours, politiques et pratiques, 1998, pp. 53-69