3.3.2. UNE PERSPECTIVE CONSTRUCTIVISTE

C'est également dans une perspective "constructiviste" que s'inscrit ce travail, en tant qu'il s'agit de mettre en évidence les modalités de construction de parcours d'insertion professionnelle appréhendés comme le résultat temporaire de processus de socialisations professionnelles "postscolaires".

Il s'agit d'appréhender ces parcours comme le résultat temporaire de processus d'apprentissages multiples où se mettent en oeuvre des pratiques ayant pour enjeu la définition du sens du travail. Le sens du travail n'est pas donné a priori, il se construit dans un "ici" et "maintenant" qui constitue autant d'expériences disponibles pour penser, dire, et faire le travail.

Le travail s'est construit au cours de ce siècle dans les termes de la stabilité et de la régularité, qui se sont progressivement imposés depuis l'après-guerre comme les termes dominants. L'augmentation depuis la fin des années 70 de "formes d'emploi particulières" est venue bouleverser cette norme d'emploi fraîchement construite. Les dispositifs d'aide à l'insertion professionnelle mis en place pour lutter contre la progression du chômage participent de cette situation de précarisation de l'emploi. La norme d'emploi que constitue le contrat à durée indéterminée et à temps plein se déconstruit au profit de la reconstruction d'une norme sociale du travail aux contours encore incertains.

Le processus de socialisation professionnelle est au coeur de cet enjeu de déconstruction-reconstruction de la définition sociale légitime du travail, autrement dit du sens du travail. La socialisation à l'emploi qui se met en oeuvre dans le cadre des dispositifs d'aide à l'insertion a ceci de particulier qu'elle s'inscrit dans des temporalités limitées et irrégulières.

La construction des identités professionnelles va s'élaborer dans des cadres de références bien souvent multiples et changeants. Il s'agira chaque fois pour les individus de tenter de faire coïncider leur "identité pour soi" - l'identité qu'ils se sont construit au cours de leur parcours antérieur - et leur "identité pour autrui" - l'identité attribuée par les autres200. La concordance entre "identité pour soi" et "identité pour autrui" ne va pas de soi, il faudra alors à l'individu tenter de faire coïncider ces deux identités, et pour cela il lui faudra mettre en oeuvre une transaction "interne" visant à construire des identités "visées", en rupture ou en continuité avec les identités "héritées" de son histoire.

Des conduites de "mise à distance" des "identités pour autrui" attribuées pourront être mises en oeuvre, afin d'échapper à la stigmatisation d'identités non acceptables car dévalorisantes. La recherche d'un autre emploi ou l'inscription dans un dispositif de formation permettront de mettre à distance ces "identités pour autrui" en pariant sur des identités "visées" capables de faire coïncider les "identités pour soi" et les "identités pour autrui". Hommes et femmes mettront en oeuvre des conduites significativement différenciées pour construire leur identité sociale et professionnelle car la réalisation de leur "identité pour soi" s'appuie tendanciellement sur des habitus marqués par la différence.

L'enjeu de la construction identitaire est un enjeu de reconnaissance, et de reconnaissance réciproque. Reconnaissance de l'individu par autrui et reconnaissance d'autrui par l'individu. C'est donc lorsque ce processus de reconnaissance réciproque aura pu se mettre en oeuvre que l'"identité pour soi" pourra s'accorder avec l'"identité pour autrui". L'individu pourra dès lors se sentir reconnu comme membre d'un collectif qu'il reconnaîtra à son tour comme collectif signifiant. C'est au prix de cette double transaction que pourra se construire une identité professionnelle signifiante, c'est-à-dire faisant sens pour l'individu et pour le collectif d'appartenance dont il se revendique.

C'est par un travail d'explication compréhensive que je m'attacherai à mettre en évidence comment peuvent se construire, ou non, pour des jeunes hommes et des jeunes femmes fréquentant les Missions Locales, des identités professionnelles, dans un contexte marqué par la précarisation de l'emploi.

Notes
200.

DUBAR, 1991, p110-120