3.3.3. LA LOGIQUE DE LA PRATIQUE

Il faut diversifier les sources pour ne pas se laisser prendre au piège des enjeux idéologiques qui animent tout individu, comparer les discours pour échapper à la singularité de récits qui pour être individuels n'en sont pas moins sociaux. Il faut enfin relativiser, par la démystification, les discours sur la pratique qu'il ne faudrait pas confondre avec la pratique. Car l'enjeu de la démarche sociologique est bien de rendre compte des pratiques sociales à l' oeuvre dans une société donnée.

Rendre compte d'une pratique sociale implique de pouvoir rendre raison de ce qui fonde la pratique comme pratique non pas nécessairement rationnelle, mais comme pratique signifiante. Il s'agira donc de rendre compte des conditions sociales qui sont au principe des pratiques d'insertion professionnelle mises en oeuvre par les jeunes demandeurs d'emploi fréquentant les Missions Locales. Pour rendre raison de ces pratiques d'insertion et par là comprendre comment le sens du travail se construit au fil de ces parcours, je tenterai de comprendre les discours produits par ces jeunes sur leurs expériences de travail, non pas en tant que "lectures" de la pratique, mais en tant qu'"indices" de la pratique. Si le discours sur la pratique ne nous dit pas nécessairement la pratique, il peut toutefois nous éclairer partiellement sur ce qui est au fondement de la pratique.

C'est par une démarche d'explication compréhensive appuyée sur une méthode comparative que je m'attacherai à reconstruire sociologiquement le sens social de discours sur la pratique qui sont nécessairement déformés par l'idéologie, l'oubli, le déni, et toutes autres formes de "reconstructions" de la pratique, mais n'en constituent pas moins des "indices" significatifs de pratiques sociales à même de nous renseigner sur la façon dont se construit et se reconstruit le sens du travail pour des jeunes hommes et des jeunes femmes confrontés à la "précarité" professionnelle.

La posture adoptée est celle qui consiste à considérer mon interlocuteur, non pas comme un "professionnel de la mystification" mais comme un informateur de lui-même et du social, nécessairement traversé d'idéologies et de mythes, ni plus ni moins que moi-même, ni plus ni moins que tout un chacun. Il s'agira alors, non pas d'exposer les paroles déposées dans les entretiens comme paroles constituant en elles-mêmes une analyse, subjective, qui ne nécessiterait pas de travail d'objectivation, mais de tenter l'objectivation du discours produit par une analyse contextualisée et comparée.

J'entends par analyse contextualisée, une analyse qui va prendre en compte le contexte général de production de l'énonciation, en ce que ce contexte est traversé d'enjeux qui orientent nécessairement le discours en train de se construire. Mais également une analyse attentive aux enchaînements du discours, appréhendés comme révélateurs d'indices signifiants de la conduite, en ce que le fait d'enchaîner des propositions "apparemment" sans rapport immédiat les unes avec les autres, peut traduire une préoccupation nodale récurrente, la plupart du temps ignorée comme telle, et dont il faut au chercheur construire la logique.

Analyse comparée enfin, car c'est de la confrontation de l'analyse de plusieurs récits de vie, pas seulement des six récits exposés mais de l'ensemble des trente récits produits, que je pourrais construire des logiques communes qui fondent la logique sociale de pratiques singulières.