3.4.2. MODALITÉS DE RÉALISATION DE « L’ENQUÊTE »

La réalisation proprement dite de l'enquête de terrain s'est déroulée entre le mois de mars et le mois d'octobre 1995. Ayant établi les contacts par téléphone, je proposai aux jeunes de réaliser l'entretien préférentiellement dans les locaux de la Mission Locale204. Les locaux de la Mission Locale m'apparaissaient en effet plus propices à l'élaboration d'un discours sur les pratiques d'insertion, et donc sur l'ensemble des modalités d'accès à l'emploi dont faisait partie la Mission Locale (formation, recherche d'emploi, chômage, ...). Toutefois, il apparut bien vite que nombre de jeunes opposaient une résistance à ce lieu et préféraient organiser la rencontre à leur domicile. Je réussis à réaliser 11 entretiens dans les locaux de la Mission Locale et les 19 autres à domicile. La répartition des lieux d'enquête ne s'est pas distribuée au hasard. Elle se révélera, à l'analyse des entretiens, assez significative d'un rapport sexuellement différencié à la structure d'insertion socioprofessionnelle que représente la Mission Locale. Rapport de "mobilité" pour les uns, d'"immobilité" pour les autres, rapport "actif", rapport "passif". Que cela soit explicable par des facteurs objectifs (difficulté de déplacements sur un territoire très mal desservi par les transports collectifs) ou par des éléments plus subjectifs (investissement préférentiel de l'espace domestique), le choix du lieu de l'entretien, déterminé, en ultime ressort, par l'enquêté lui-même, se révélera un premier "analyseur" important de la situation d'enquête proprement dite.

Fixés par téléphone, les lieux et dates de rendez-vous étaient laissés à l'appréciation des enquêtés. Ainsi, les entretiens réalisés à domicile205 le seront principalement avec les jeunes femmes, et parmi elles avec les jeunes femmes les moins diplômées et les plus éloignées du marché du travail. A l'inverse, les quatre jeunes femmes que j'ai rencontrées à la Mission Locale étaient toutes en activité206 (en emploi ou en formation qualifiante) et dotées d'un bon niveau de formation. Concernant les jeunes hommes, aucun critère spécifique ne semble, a priori, discriminer ceux qui firent le choix de la rencontre à leur domicile, de ceux qui optèrent pour la Mission Locale, puisque parmi les sept jeunes hommes que j'ai rencontrés à la Mission Locale, deux seulement étaient en activité, tout comme parmi les cinq rencontrés à domicile, deux étaient également en activité

Cette observation m'amène à m'interroger sur la symbolique des lieux choisis, et sur le sens que les jeunes ont accordé à l'entretien. Il apparaît assez clairement que la Mission Locale fait l'objet d'un processus d'appropriation sexuellement différenciée. Si les jeunes femmes se répartissent très symboliquement entre l'espace public de la Mission Locale pour les plus insérées professionnellement d'entre elles, et l'espace privé du domestique pour les plus exclues, il ne semble pas possible d'identifier une opposition similaire au sein du groupe des hommes. Entre outre, si l'on tient compte, en ce qui concerne les cinq hommes rencontrés à domicile, que deux le furent pour des raisons professionnelles207 et un le fut à ma demande208, on est mieux en mesure de percevoir qu'une opposition assez significative se dessine entre les sexes autour de ce lieu symbole de passage entre le chômage et l'emploi que représente la Mission Locale.

Il me faut, à ce point de l'exposition de mon travail, évoquer le choix d'une posture d'enquête qui n'est pas sans incidence sur le déroulement des entretiens. Je n'ai, en effet, pas réalisé ces entretiens au nom de la sociologie. Alors même que j'étais "conseillère en insertion" dans cette Mission Locale, connue et reconnue comme telle par nombre de jeunes qui la fréquentaient, je fus chargée d'une mission de recherche qui se proposait de comprendre le rapport au travail des jeunes afin d'éclairer la "logique" de leur parcours d'insertion. Il me parut difficilement envisageable de me présenter à eux, pour la circonstance de l'enquête, en qualité de sociologue. Nous le verrons ultérieurement, lors du travail d'analyse des entretiens, le secteur de l'insertion est un espace de positions institutionnelles tellement complexe et flou pour la majorité des jeunes, qu'il ne m'est pas paru utile d'ajouter à la confusion. Je fus donc "la personne chargée de l'enquête". J'avais également décidé de bannir de mon vocabulaire le mot de "recherche", davantage évocateur pour ces jeunes de "recherche d'emploi" que de toute autre chose. Je réalisai donc ce travail en qualité de "conseillère en insertion chargée d'une enquête". Ceci appelle plusieurs développements.

Notes
204.

Au siège situé à St Symphorien d'Ozon, ou dans les différentes antennes localisées dans chaque commune, afin de minimiser les problèmes de mobilité.

205.

Voir les parcours en annexe

206.

Lors de l'enquête 6 femmes sur les 18 rencontrées étaient en activité.

207.

Johan et Sami

208.

Sylvain