4. DES HISTOIRES D’INSERTION MARQUÉES PAR LE GENRE

L'analyse des entretiens que je vais désormais présenter a été pensée dans l'idée d'un cheminement. Cheminement entre des récits de parcours où le travail se pense au détour d'histoires de formations, de stages, de missions d'intérim, .... Je cherchais à savoir ce que représentait le travail pour ces jeunes, hommes et femmes, ils m'ont parlé de beaucoup de choses, raconté leurs errances, leurs souffrances, leurs rêves, leurs désirs, leurs échecs scolaires, leurs désillusions par rapport aux "stages", leurs déceptions par rapport au monde du travail, ...et ils ont construit pour nous un univers de pratiques où le travail a pris place, peu à peu.

Le travail s'est décliné tout au long des entretiens dans des termes multiples. Le travail fait l'objet d'usages linguistiques divers, et ce sera l'objet de ce travail que de tenter de comprendre les significations de ces usages multiples.

Comment dès lors analyser l'énonciation de mots aussi polysémiques que "métier", "profession", "emploi", "travail", "besogne", "boulot" ? De nombreux sociologues ont tenté, tentent encore de conceptualiser, à travers les mêmes catégories langagières, ce que représentent les "métiers", les "professions", les "emplois", .... La confusion sémantique est alors totale entre ce que le sociologue, ou autre chercheur, tente de conceptualiser, et ce que les gens utilisent dans leur conversation courante.

Si l'analyse historique du mot "boulot" renvoie à l'expression "boulotter" qui signifiait manger, comment interpréter l'utilisation de ce mot chez un intérimaire, pour lequel le "boulot" renvoie effectivement à une nécessité alimentaire, ou chez un artisan dont on s'attendrait davantage à ce qu'il nomme son "activité" en termes de "métier" ?

La construction du sens du travail est une construction socialement et historiquement située. Dans le temps d'une génération, dans le temps d'une interaction, dans le temps d'un entretien, le sens du travail se construit en interrelation avec l'environnement, présent ou évoqué.

Je m'attacherai donc à saisir les cadres d'énonciations du "travail", en tant que le "travail" se parle dans des termes multiples qui renvoient à des contextes signifiants pluriels. Il s'agira donc d'interpréter le sens de ces mots en rapportant leur utilisation au contexte discursif dans lequel ils s'inscrivent. Ainsi, lorsque "notre" artisan me parle de son activité en termes de "boulot" c'est sans doute parce que dans le contexte précis de l'énonciation il fait référence à son activité comme à une activité nécessaire pour sa survie alimentaire, ce qui ne l'empêchera pas à un autre "moment" du discours de me parler de son "métier" pour en décrire les compétences professionnelles requises.

La présentation des entretiens qui va suivre a été pensée dans la volonté de rendre compte de différences significatives entre les sexes dans leurs façons respectives de donner sens à leurs expériences du "travail".

Tous les jeunes que nous allons rencontrer ont travaillé dans le cadre de "formes d'emplois particulières", quelques mois pour certains, des années pour d'autres. Certains ont davantage fait l'"option" de la formation en alternance, d'autres davantage celle de la formation alternée. Certains ont fait l'expérience du travail intérimaire, d'autres du travail à temps partiel dans le cadre de contrats emplois solidarité. Au moment de l'entretien, trois sont embauchés en contrats à durée indéterminée, les trois autres sont en recherches d'emploi ou de formation.

Les hommes et les femmes se distribuent de façon aléatoire parmi ces situations d'insertion professionnelle, et aucune différence significative entre les sexes n'apparaît quand à leurs distributions respectives dans l'espace de la "précarité" professionnelle.

Nous allons voir toutefois comment malgré ses situations objectives aléatoirement réparties entre les sexes, des pratiques d'insertion marquées par la différence des sexes vont se construire.

Dans un premier temps, nous ferons la connaissance de Latifa, Christine, puis Nadine. Latifa et Christine sont en recherche d'emploi. Nadine est embauchée depuis trois ans comme fonctionnaire dans une municipalité de la banlieue Lyonnaise.

Dans un deuxième temps, nous rencontrerons Makram, Johan et Sylvain. Makram est en attente de formation dans le dispositif du Crédit Formation Individualisé. Johan et Sylvain sont embauchés dans le cadre d'un Contrat à Durée Indéterminée depuis trois mois chacun.