4.1.1.1. LE CONTRAT D'APPRENTISSAGE

Latifa va énoncer son parcours scolaire dans les termes d'un parcours diplômant qui n'a pas pour ressort le "choix" d'un domaine professionnel particulier, mais l'acquisition de diplômes : ‘<<J'ai fait deux années de BEP en secrétariat et j'ai pas eu mon BEP...je vais faire un contrat d'apprentissage...pour pouvoir passer mon BEP et puis après faire un Bac Pro>>.’ Nous apprendrons bientôt qu'une procédure de réorientation scolaire l'a conduite, deux ans auparavant, dans le secteur du secrétariat, à défaut de pouvoir poursuivre comme elle l'aurait souhaité sa scolarité.

Il me faut dès à présent, et ce pour l'ensemble des analyses qui suivront, éclaircir un environnement "objectif" conséquent du point de vue méthodologique. Lorsque Latifa me dit avoir fait deux années de BEP en secrétariat, je n'ai d'autres moyens de "vérifier" cette donnée objective que de la confronter aux éléments du discours qu'elle va produire. En effet, il est important de savoir que la confrontation du "parcours subjectif", tel qu'il est énoncé dans l'entretien, avec les données "objectives" recueillies dans le cadre de la Mission Locale, ce qui sera systématiquement fait, ne nous sera pas d'une grande utilité. Car toutes les éléments "objectifs" des parcours (formation scolaire, emplois occupés, ...) ne reposent que sur la confiance. Il n'est jamais demandé de "preuves" (attestation de diplômes, certificat de travail, ...) aux jeunes qui fréquentent les Missions Locales.

Ayant échoué son BEP dans le cadre de la formation initiale, Latifa prend contact avec la Mission Locale il y a deux mois pour obtenir une aide dans le cadre de ses démarches de recherche de contrat d'apprentissage. Le CIO lui a en effet conseillé la voie du contrat d'apprentissage plutôt que celle du redoublement. Mais ce premier contact semble décevant ‘: <<J'ai fait des recherches par moi-même, l'Assintercom m'avait passé une seule adresse donc j'ai écrit et puis j'ai toujours pas eu de réponse et là j'attends toujours quoi j'ai rien du tout ... j'ai fait des demandes à la mairie, j'ai envoyé des lettres, j'ai téléphoné, et puis à la mairie j'ai eu une réponse au début favorable après défavorable parce que fallait m'encadrer et ils pouvaient pas se permettre de trouver quelqu'un pour m'encadrer y avait trop de travail>’>. Les premiers contacts de Latifa avec le monde du travail se déclinent dans les termes d'une temporalité problématique. D'un côté, elle <<attend>> les réponses des employeurs, de l'autre ces employeurs n'ont pas le temps de s'occuper d'elle car ‘<<il y a trop de travail>>’. Comment alors ne pas entendre de façon paradoxale cette situation où des demandeurs d'emploi se voient refuser des contrats de travail justement parce que l'entreprise a trop de travail et donc pas le temps de prendre en charge la formation pratique d'un jeune apprenti. Comme elle, Nagette, Sofia et Fahra exprimeront cette situation paradoxale dans les termes d'une "attente" interminable.

Latifa fait l'expérience d'un monde du travail "débordé", qui n'a pas le temps de répondre à ses courriers, ne peut pas se permettre de perdre du temps à former des jeunes en entreprise, alors qu'elle n'a que ça à vendre, du temps. Elle passe donc son temps à attendre. Situation quasi kafkaïenne qu'elle cherchera à décoder tout au long de l'entretien.