4.1.1.1.2. CONTRAT DE "FORMATION"

Le processus de catégorisation que Latifa met en oeuvre pour définir le cadre de référence du contrat d'apprentissage indique très clairement que c'est en termes de formation qu'est pensé ce contrat d'insertion. Alors que le contrat d'apprentissage est le contrat d'insertion le plus orienté vers l'entreprise puisque le temps de formation correspond généralement à 25 % du temps, contre 75 % consacré à l'activité professionnelle exercée dans l'entreprise (contre 50 % et 50 % pour le contrat de qualification), Latifa se réapproprie cette mesure dans la logique de son parcours qui est celle de la qualification. Alors qu'elle consacrera "objectivement", près des trois quart de son temps à "travailler", c'est en termes de <<formation>> qu'elle catégorise ce contrat de travail particulier qui doit lui permettre de valider son BEP. Sylvain, Nagette, Mériem et Fahra ayant eux aussi fait l'expérience d'un contrat en alternance le catégoriseront également en termes de "formation".

Le contrat d'apprentissage est le plus ancien contrat en alternance qui ait été mis en place, son instauration remonte aux années 1880. Depuis 1977, la relation entre l'apprenti et l'employeur est formalisée par un véritable contrat de travail ce qui a contribué à la catégorisation de ce contrat en alternance dans les termes du "travail". Toutefois, comme on le voit avec l'exemple de Latifa, le contrat en alternance reste le type de contrat le plus lié au système scolaire. Il s'inscrit alors pour beaucoup de jeunes dans la logique de parcours de formation qui, interrompus pour cause de niveaux scolaires insuffisants dans le système scolaire, vont se reconstruire dans le cadre de l'apprentissage. Le contrat d'apprentissage se constitue alors en "école de second rang", "l'école légitime" repoussant sur le marché du travail les jeunes dont le niveau scolaire est jugé insuffisant.

Je relancerai Latifa sur ce qu'elle attend de l'apprentissage pour l'amener à préciser comment elle perçoit ce contrat en alternance : ‘<<C'est le fait d'apprendre dans une entreprise, plutôt que en plein temps à l'école, on apprend mieux parce que j'avais fait des stages, j'ai vu qu'on apprenait vachement mieux, parce qu'on se fait une idée, et puis on voit comment c'est quoi, à l'école on dit oui c'est l'école, c'est pas comme ça dans le travail et tout, j'ai fait deux stages dans le secrétariat, enfin moi j'ai appris beaucoup de choses>>’. Latifa se représente le contrat d'apprentissage dans des termes tout à fait adaptés à la réalité du contrat, elle sait donc bien ce qu'est un contrat d'apprentissage, mais cela ne l'empêchera pas de le concevoir comme une <<formation>>, et non comme un "emploi", alors même qu'elle sait qu'elle va travailler dans une entreprise et que cela représente un grand intérêt pour elle.

Le contrat d'apprentissage n'est donc pas ignoré ou dénigré dans sa dimension "travail", tout au contraire, il est objet de valorisation car il constitue l'entrée dans le monde des adultes : ‘<<Y a le contact avec les grandes personnes y a, on s'fait à l'idée quoi, comme quoi y a du boulot quoi, et puis ça m'plaît bien quand même, sinon j'aurais changer j'serais pas aller là, j'me vois mal passer du secrétariat en vente, parce que j'ai appris beaucoup de choses en secrétariat j'trouve que c'est du gaspillage, avec mes connaissances d'aller faire de la vente, quand y a moyen de rattraper, quand y a moyen, un contrat d'apprentissage, ça vaut pas le coup d'aller en vente>>. ’

Latifa, va poser la catégorie du plaisir comme condition à la poursuite de son parcours d'insertion. Mais cette catégorie du plaisir ne constitue pas le ressort de son parcours, c'est une condition a minima. Le ressort de ce parcours réside davantage dans un investissement dont il ne faut pas perdre les bénéfices, car désormais l'objectif n'est pas tant de se former dans un secteur qui lui plaise que d'obtenir les diplômes que ce secteur peut lui permettre d'acquérir.

On peut étayer progressivement la construction d'une logique d'insertion professionnelle fondée alors sur la seule acquisition de diplômes.

Mais tout aussi intéressant à observer est l'horizon des possibles professionnels qu'elle construit. Cet horizon des possibles s'inscrit dans une alternative, le secrétariat et la vente, telle qu'elle lui a été formulée deux ans auparavant lors de sa procédure de réorientation scolaire. Cet horizon contraint par un niveau scolaire jugé insuffisant, offre dès lors un éventail de possibles fortement réduit, qui illustre parfaitement la problématique de l'insuffisante diversification des métiers féminins. L'éventail des possibilités étant d'autant plus réduit que le niveau scolaire est bas, l'acquisition de diplôme correspond donc à une pratique cohérente puisque le niveau scolaire est corrélé à la notion de "choix". L'obtention d'un diplôme est alors la possibilité envisagée pour compenser par le niveau scolaire, ce qui n'a pu être obtenu par le biais du secteur d'activité choisi.