4.1.1.2. UNE HISTOIRE DE FEMMES

Mais ce ressort que constitue l'acquisition de diplômes dans le parcours d'insertion de Latifa prend sens également dans une histoire familiale marquée par la qualification des femmes de la famille : ‘<<Y a ma mère qui a eu un diplôme de dactylographie, (intervention de la mère, reprise par la fille ) elle a été diplômée dans une des plus grandes écoles de Casablanca, et j'ai ma soeur qui a son diplôme de vente aussi, (relance : et elle travaille ?) elle travaillait mais plus maintenant, elle s'est mariée et elle attend un bébé (rires)... elle avait fait un contrat d'apprentissage avant>>.’ La procédure d'énonciation collective qui vise à marquer la qualification professionnelle de la mère inaugure une série d'interventions qui s'attacheront à construire l'identité d'une famille "respectable". La mère est non seulement diplômée, ce qui n'est pas chose commune pour une femme maghrébine de cette génération, mais de surcroît ‘<<d'une des plus grandes écoles de Casablanca>>,’ témoignant par là du statut social de la lignée maternelle.

La référence à la soeur est doublement signifiante. D'une part, elle met en évidence l'inscription professionnelle de la soeur dans un horizon pensé à l'identique de celui de Latifa. Suite à une même procédure de réorientation, l'une aura probablement "choisi" le secteur de la vente, tandis que l'autre "choisissait" celui du secrétariat. Toutes deux étant amenées à construire leur parcours autour d'une mesure d'insertion. D'autre part, ce "repérage" familial est un moyen par lequel elles tentent toutes deux - Latifa et sa mère - d'indiquer le parcours "possible" de Latifa, qui évaluée au regard de ce que peut en penser la sociologue à laquelle elles livrent, la mère et la fille, ce tableau de famille, va déclencher des rires complices d'une situation qu'elles imaginent et savent problématique. C'est parce qu'elles savent toutes deux que l'inactivité des femmes suite au mariage et aux maternités, pratique courante dans les familles maghrébines, est une pratique moins généralisée dans la communauté des "françaises" que je représente, qu'elles vont entourer cette énonciation d'une procédure visant à la mettre en relief, pour bien marquer le caractère doublement problématique que cette pratique représente. Problématique d'une part, parce que le modèle de la femme au foyer mère de famille nombreuse est un modèle stigmatisé dans la société d'accueil que représente pour elles la société française. Problématique d'autre part, parce que le processus scolaire de socialisation confronte les jeunes filles maghrébines à un modèle social de femme "active" qui se heurte au modèle traditionnel de la mère de famille "inactive", encore dominant dans beaucoup de familles maghrébines.