4.1.1.2.1. UNE FAMILLE "RESPECTABLE"

Cette situation perçue et déposée dans la situation d'entretien comme problématique va faire l'objet d'une procédure de justification visant à légitimer la pratique. Relancée sur les parcours scolaires de ses frères, Latifa poursuit : ‘<<Le plus grand il est en chaudronnerie au LEP de Vaulx-en-Velin, et puis y a les deux petits en primaire, ....le grand, il aime bien ce qu'y fait, mais il aime pas l'école où il est, à Vaulx-en-Velin il aime pas du tout, (intervention de la mère sur les mauvaises fréquentations, reprise par la fille) c'est mal fréquenté, il s'est fait agressé, (intervention de la mère, "retraduite" par la fille) mais comme il travaillait bien ils veulent pas le lâcher, il fallait vraiment une bonne raison pour qu'ils le laissent partir>>’. à nouveau, l'énonciation a pour enjeu la présentation d'une famille "respectable" qui ne se confond pas avec les voyous de Vaulx-en-Velin, preuve en est, le fils, bon élève, s'est fait agresser par ces jeunes-là.

La mère et la fille avaient interrompu leur échange. Il devenait clair que le parcours de Latifa était fortement marqué par l'histoire familiale, et maternelle principalement. J'allais en conséquence interpeller la mère, et non plus la fille, pour savoir si elle avait travaillé au Maroc après avoir obtenu son diplôme : ‘<<Non, non, j'me suis mariée et vous savez les maris arabes ils aiment pas que leurs femmes travaillent, mon mari il dit qu'il a assez (...) alors moi j'ai pas le droit de travailler, il est dur...>>’. La procédure de justification vise une fois encore la respectabilité de la famille, et ce à travers la problématique du "contrôle" des femmes. Comme l'ont mis en évidence Patricia PAPERMAN, et Liliane PIERROT218, l'inactivité des femmes maghrébines s'inscrit très souvent au coeur d'enjeux de respectabilité et d'honneur. C'est en refusant à leurs femmes la possibilité de travailler que les "maris" assurent leur respectabilité au sein de la communauté des pairs.

Notes
218.

in Le travail ambigu, 1980