4.1.1.2.2.UN DIPLÔME DE FAMILLE

Après avoir relançé la mère, je relançais Latifa pour savoir comment elle envisagait sa situation après le mariage : ‘<<Je vais travailler bien sûr, bien sûr, mais j'ai le temps moi, j'voudrais bien d'abord finir l'école, après j'verrai pour le mariage, avant non, faut avoir les diplômes déjà, ...d'avoir les diplômes déjà c'est pour faire plaisir à mes parents, déjà>>’, (intervention de la mère : ‘<<Le père il est malade, il est en longue maladie>>), <<déjà c'est pour leur faire plaisir et après pour pouvoir les aider un peu>>, ’(intervention de la mère : ‘<<Et après pour elle aussi>>), <<pour moi aussi bien sûr, et puis je vois ma maman elle a un diplôme>>, ’(intervention de la mère : ‘<<Peut-être ma fille elle va trouver un mari bien, mais peut-être elle va pas attendre beaucoup d'argent de son mari >>), << mais ça sert toujours de travailler, avec ou sans mari ça sert toujours quoi, moi j'trouve que vaut mieux dépendre de soi que de quelqu'un d'autre, ah oui bien sûr, au cas où, il faut toujours avoir quelque chose sous la main>>.’

Inscrit dans le contexte familial, le parcours d'insertion de Latifa va se préciser comme un parcours orienté vers l'acquisition de diplômes afin de satisfaire aux exigences familiales. C'est, dit-elle‘, <<pour faire plaisir à mes parents et les aider>>’, qu'elle veut valider son parcours scolaire. Elle ne sera pas démentie par sa mère qui viendra donner un sens plus "acceptable" à cette transaction familiale - ‘<<et après pour elle aussi>> ’- qu'elle sait ne pas correspondre au modèle français dominant, où selon les discours dominants les enfants ne font pas des études pour faire plaisir à leurs parents.

On sera donc tenté d'interpréter cette énonciation dans les termes de la nécessité. Latifa doit terminer ses études car seul un diplôme lui permettra de trouver un emploi sur le marché du travail, ce qui est d'autant plus indispensable que le chef de famille, le père, n'est plus en mesure de travailler puisqu'en longue maladie. Cette mise en mots paraît d'autant mieux coller au "décor" que la vétusté des lieux ne respire pas l'abondance. Toutefois, la suite de l'entretien viendra mettre fortement en question cette possible interprétation.

Mais plus intéressant encore est la remise en question du modèle familial qui perce dans la dernière phrase et qui vient nous dire peut-être toute l'amertume d'une trajectoire de déclassement social pour une femme, la mère, que l'on peut imaginer issue d'une famille relativement aisée. En projetant l'avenir potentiel de sa fille - ‘<<peut-être ma fille elle va trouver un mari bien, mais peut-être elle va pas attendre beaucoup d'argent de son mari>>’ - elle nous renseigne sur l'amertume qui est la sienne face à un mari qui non seulement n'est plus en mesure de travailler, mais en outre lui a retiré toute possibilité d'exercer une activité professionnelle. En renchérissant sur les propos tenus par sa mère, Latifa vient nous confirmer en quoi la situation vécue par la famille est source de tension face à un modèle familial traditionnel, qui non seulement n'est plus en mesure d'assurer le bien-être de la famille, mais en outre empêche celle qui pourrait le faire - la mère - d'y contribuer.