4.1.1.3. UNE TÊTE D'"ARABE"

Latifa ayant de nouveau marqué une pause, je l'inviterai à expliciter sa situation de recherche de contrat d'apprentissage : ‘<<C'est chiant, c'est chiant, j'en ai marre des fois j'fais plus rien du tout>>,’ (intervention de la mère : ‘<<Elle pleure>>), <<je me dis des fois j'laisse tomber, une fois j'ai été une journée entière à Villeurbanne, j'ai fait tout Laurent Bonnevay, y a des entreprises là-bas, j'les ai fait un par un, j'vous promets, y a rien du tout, j'sais pas si c'est le fait que j'suis une arabe, bon ça joue un peu mais y a le fait aussi que j'sais pas ils veulent plus de ça, j'sais pas, plus de, de jeunes quoi, ils préfèrent les gens motivés et puis ils veulent plus d'arabes non plus ils veulent plus d'arabes non plus il faut le dire, le fait d'être une arabe ça joue beaucoup>>’ (intervention de la mère : ‘<<T'es française>>), <<oui je sais, j'suis peut être française, mais avec les papiers, mais je suis pas française, française quoi, j'm'appelle pas Jacqueline et tout (rires), ça joue beaucoup franchement, moi j'vois quand j'avais été demander personnellement dans des entreprises, ils m'ont vu arriver, non non non du tout, du tout, on prend pas, le fait comment ils m'ont répondu, ça fait mal, tout de suite on voit ça, j'sais que c'est le fait que j'suis une arabe>>.’ Latifa, comme la plupart des jeunes d'origine maghrébine rencontrés, à l'exception de Makram avec lequel nous ferons bientôt connaissance, ainsi que de Sonia et Sofia, va déposer dans la relation d'entretien le problème social de la ségrégation raciale auquel elle se confronte dans ses recherches d'emploi. à l'instar de Mériem et de Soufiane, c'est en qualité "d'arabe" qu'elle se définit, et non en tant que "jeune" ou que "femme". Il n'entre pas dans le cadre de cette recherche de développer davantage cette problématique, je signalerai toutefois que ce "problème" déposé fréquemment par les jeunes dans les échanges professionnels correspond à une donnée "objective" confirmée par la plupart des chefs d'entreprise eux-mêmes.

Ainsi, l'identité "problématique" qui se construit dans cet échange avec la femme française que je suis n'est pas l'identité de la femme qu'elle est, et que nous sommes toutes les deux, mais l'identité de <<l'arabe>> qui s'est imposée à elle comme stigmate, et qui ne peut me qualifier. Si l'identité sexuelle est une identité construite en ce qu'elle se décline dans des termes multiples et variables selon les lieux et les époques, elle n'en demeure pas moins une identité corporellement indépassable et non reniable, du moins pour la plupart des individus. L'identité culturelle comme identité socialement et historiquement construite est davantage objet de processus de catégorisation variable qui viennent dire toute la fragilité de cette entreprise de construction de soi-même. L'intervention de la mère - <<mais tu es française>> - viendra souligner les enjeux inhérents à ce processus de définition de l'identité culturelle légitime, en tentant de faire valoir la définition légitime, officielle de l'identité culturelle de sa fille attestée par <<les papiers>>.