4.1.1.3.1. PROCESSUS DE CATÉGORISATION

Il est ainsi intéressant d'observer comment se construisent les catégories légitimes qui visent à définir les "problèmes" au regard de ce que les catégories "indigènes" problématisent comme tels. Depuis le milieu des années 80, se sont ainsi régulièrement mises en place des actions visant la "diversification de l'orientation professionnelle des filles" ; la catégorie de genre ainsi définie comme problématique organisait ainsi un ensemble de mesures d'accompagnement spécifiques visant à améliorer les chances d'insertion professionnelles des jeunes filles sur le marché du travail. Ce qui constituait alors un "problème" pour les pouvoirs publics, était cette catégorie du genre qui stigmatisait ces jeunes filles lors de leur entrée sur le marché du travail.

Des dix-huit jeunes filles rencontrées au cours de cette recherche, pas une seule ne construira cette catégorie du genre comme problématique dans l'accès au marché du travail. En revanche, sur les dix jeunes d'origine maghrébine que je rencontrerai, seuls trois d'entre eux n'évoqueront pas cette catégorie culturelle comme problématique. Aucune action à ma connaissance ne sera mise en oeuvre dans le cadre des Missions Locales pour répondre aux problèmes spécifiques rencontrés par les jeunes d'origine maghrébine sur le marché du travail.

Le contexte social des années 90 est davantage enclin à dénoncer le problème social du "racisme" qu'à hisser le drapeau du "féminisme" comme ce fut le cas jusque dans les années 80. Le problème social des "minorités" s'est déplacé, pour substituer la "lutte contre le racisme" au "féminisme". Ce contexte social global marque indéniablement le rapport à l'identité de chacun, et il n'est donc pas surprenant d'observer l'absence totale de la problématique "féministe" au cours des entretiens. Et ce d'autant plus peut-être, que l'identité du chercheur, une femme française qui travaille, peut "justifier" et renforcer la problématique de l'exclusion des jeunes maghrébins, mais beaucoup moins celle de l'exclusion des jeunes femmes du marché du travail.

Selon les orientations de la CNIL219, il n'est pas possible de recueillir de données relatives à l'origine culturelle. De ce fait, il nous est difficile d'approcher quantitativement le problème social de la ségrégation culturelle lors de l'entrée sur le marché du travail. Ce processus de non catégorisation pourrait participer à une entreprise de déni d'un problème social polémique. En déplaçant le problème de la discrimination raciale vers des catégories plus légitimes et moins polémiques, comme celles du "niveau de scolarisation" ou du "niveau de qualification", il devient possible de masquer par un problème individuel, "un niveau scolaire insuffisant", un problème social, "le racisme".

Notes
219.

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