4.1.1.4.3. PERTE DE TEMPS

Latifa va poursuivre l'énonciation de sa période de recherche d'emploi en faisant référence à la proposition qui lui a été faite par la conseillère de la Mission Locale qu'elle a rencontré, de participer à une session de formation aux techniques de recherche d'emploi dans le cadre des actions mises en place par la structure pour aider les jeunes demandeurs d'emploi. ‘<<Madame X, j'l'ai vu une fois et puis après j'suis allée à une réunion, le stage à faire de 15 jours, là franchement ça m'intéressait pas du tout, j'trouvais que c'était une perte de temps, franchement au lieu d'aller faire ce stage, moi c'que j'faisais ben j'allais courir les rues à Villeurbanne, à Corbas, j'faisais ça quoi, j'écrivais, j'envoyais des lettres de partout, c'que'j'veux c'est qu'y ait quelqu'un avec moi, qui connaisse des gens, qui connaisse des employeurs, et qui me conseille, qui parle avec l'employeur de moi, mais que, j'ai été à l'école pour apprendre à écrire des lettres, je sais faire, des CV j'ai appris à le faire à l'école, franchement c'est ce qu'on allait apprendre au stage>>’. Ce que Latifa met en question est la forme scolaire, déjà expérimentée, des techniques de recherche d'emploi proposées. Car cette forme scolaire symbole d'échec, non seulement ne peut lui permettre de réussir, mais constitue de plus une ‘<<perte de temps>>’. Car l'échec est évalué dans une temporalité qu'elle a déjà intégré et l'a déjà stigmatisé comme "en retard". Il devient donc inacceptable de perdre encore du temps, ne serait-ce que quinze jours. Il devient alors préférable d'aller <<courir>>, seule, les entreprises. Course contre le temps perdu qui est une réponse à ses heures perdues à <<attendre>> des réponses d'employeurs.

Une fois encore, le parcours d'insertion professionnelle de Latifa s'inscrit dans une temporalité problématique marquée par des ruptures de rythme continuelles, qui voient s'enchaîner des temps "précipités" par la course à des temps "étirés" par l'attente.

Le socialisation scolaire rythme le parcours de l'élève selon une série d'enchaînements chronologiques qui viennent signifier la réussite, ou l'échec scolaire. Le passage d'une classe à une autre est indexé à un âge qui fait référence et se constitue en norme légitime. Tout décalage par rapport à ce couple normé - âge-classe - vient signifier une "avance" ou bien plus communément un "retard". La réussite se construit donc dans un référentiel temporel qui va marquer l'ensemble du processus de socialisation. <<Courir>> devient donc un substitut à ce "travail" impossible, en posant le temps, et non plus le travail, comme catégorie pertinente d'évaluation d'une situation.

Ainsi Latifa comme beaucoup d'autres jeunes rencontrés interprétera sa période de recherche d'emploi dans les termes d'une temporalité problématique du fait de périodes <<d'attente>> interminables, de "temps perdu" à multiplier des démarches infructueuses, mais jamais cette période de recherche d'emploi ne sera appréciée dans les termes d'un "travail" éprouvant ou fastidieux, ou même inutile.