4.1.1.6.2. ....POUR ETRE MERE AU FOYER

Car quand bien même, comme nous allons le voir, l'accès au marché du travail est pensé dans une temporalité limitée qui s'inscrit dans une logique de capitalisation qui trouve sens dans un parcours orienté vers l'inactivité, il faut à Latifa se qualifier pour opérationnaliser cette carrière "d'inactive". ‘<<J'voudrais avoir mon Bac, si j'ai mon Bac après j'travaille quoi, un emploi dans le secrétariat, être secrétaire, pas toute ma vie, non, pas toute ma vie mais ce qui me reste quoi, bon je veux dire quoi minimum cinq ans, ben je sais pas si je me marie (rires), si je me marie et ben>>’ (intervention de la mère : ‘<<Si tu te maries tu travailles pas après ?>>) <<ah non je travaille plus après (rires)>>’ (intervention de la mère : ‘<<Tu as dit que tu voulais travailler pour aider le mari>>) <<oui mais, je vais travailler avant de me marier, je vais mettre les francs de côté et après bon je me marie au moins j'aurai une petite dot (rires), mettre de l'argent de côté et puis après voilà bon....>>.’

Le parcours d'insertion professionnelle est clairement inscrit dans une temporalité pré-maritale qui prend sens dans une histoire familiale marquée par l'inactivité des femmes après le mariage. La trajectoire projetée de Latifa s'inscrit tout à fait dans ce que Catherine MARRY, Irène FOURNIER-MEARELLI et Annick KIEFFER222 confirment dans leur analyse des trajectoires d'insertion féminines concernant l'importance de la transmission mère-fille relativement au rapport à l'inactivité. Comme elle, Sonia, Mériem, Annie et Fahra, envisagent de s'arrêter de travailler pour élever leurs enfants, car l'éducation de leurs enfants constitue la priorité. Car comme elle, les mères de Sonia, Mériem et Fahra sont des mères au foyer.

La transaction discursive qui s'opère entre la mère et la fille viendra mettre en évidence la dimension instrumentale du travail. Ainsi pour n'être appréhendé que dans une temporalité limitée et dans un objectif purement instrumental, le "travail" tel que le conçoit Latifa n'en devra pas moins être l'aboutissement d'un parcours d'insertion professionnelle diplômant appuyé sur un contrat d'apprentissage, et lui permettant d'exercer son activité en tant que "professionnelle", <<secrétaire>>. Le travail prend donc sens tout à la fois comme "métier" et comme "capital", alors même que Latifa pense son parcours dans les termes de "l'inactivité".

On le voit Latifa s'est appropriée cette mesure d'insertion qu'est le contrat d'apprentissage dans la logique d'un parcours pensé dans les termes de l'inactivité. Cette mesure d'insertion est signifiante en ce qu'elle peut lui permettre d'obtenir le diplôme que l'Éducation Nationale ne veut plus lui donner l'opportunité d'acquérir, et qui lui permettra d'entrer sur le marché du travail pour y constituer sa <<dot>>.

Latifa s'approprie le contrat d'apprentissage comme moyen de mettre à distance une identité non acceptable de jeune non diplômée. à aucun moment de l'entretien cette mesure d'insertion ne sera énoncée dans les termes problématiques de la "précarité" telle qu'elle est officiellement catégorisée et donc pensée. Nous allons le voir, le "problème" que vit Latifa relève davantage d'une logique de fonctionnement des marchés scolaire et professionnel qu'elle ne comprend pas et dont elle se sent exclue que d'un "problème" indexée à un type de contrat particulier.

Notes
222.

1995, p 76