4.1.1.7.1. L’ISOLEMENT

Latifa, par la présentation de sa situation, est en recherche de raisons objectives explicatives qu'elle ne parvient pas à identifier, et qu'elle va déposer dans notre relation, comme le fera Johan, afin d'y trouver des solutions : ‘<<Je suis allée demander à la mairie ils me disent bon moi je serais à votre place j'irais demander à madame machin, je vais demander à madame machin ouais y a rien pour vous, j'irais demander à l'Assintercom, l'Assintercom bon ben j'serais à votre place (rires), voilà on m'envoie de partout mais y a rien, en fait on joue à la baballe avec moi (rire) et voilà quoi, c'est pour ça qu'au bout d'un moment j'ai plus donné signe de vie, je vais me débrouiller toute seule et voilà, au moins ...>>.’ Indirectement interpellée - <<l'Assintercom>> - je suis sollicitée par Latifa pour l'aider à donner un sens à cette situation d'exclusion systématique dont elle se sent victime, et dont je suis indirectement responsable, parmi d'autres. Et c'est par le recours à une association très dévalorisante - ‘<<on joue à la baballe avec moi>>’ - qu'elle met en mots ce sentiment d'exclusion qui la stigmatise dans un statut déshumanisé, car elle se heurte à l'incapacité de verbaliser, et donc de penser, de façon significative cette situation de rejet.

Les quelques situations d'entretiens expérimentées au cours de sa recherche de contrat d'apprentissage seront venues renforcer ce sentiment diffus d'un "problème" lié à sa personne même, que rien d'autre ne peut plus justifier, ni absence de qualification, ni absence d'opportunités ; ‘<<Je préfère chercher moi toute seule au moins je sais pas, je remballe les coups mieux que quand c'est quelqu'un d'autre qui me dit, la personne à qui j'ai demandé de m'aider, qui me dit non, là c'est encore plus dur, j'encaisse mal, quand c'est moi je me dis moi c'est un peu normal mais quand c'est quelqu'un d'autre c'est dur, en fait je me dis bon c'est vrai j'ai pas le diplôme, je suis pas qualifiée, bon je me dis ça fait rien, je vais aller chercher ailleurs, peut-être ils vont me dire non, mais ce sera pas pareil, je me dis c'est parce qu'ils ont pas de place, parce qu'ils peuvent pas me payer, je me fais des raisons, mais quand c'est par quelqu'un d'autre je me dis mais pour quelles raisons, je veux même pas poser la question (rire), franchement pourquoi ils disent non, j'ai été conseillée machin machin, je me dis si une personne vraiment qualifiée et puis s'ils se connaissent bien, bon ben ils devraient pas lui refuser, en fait si une éducatrice elle aide une personne a trouver dans la vente, et cette personne bon elle a toute les compétences pour faire de la vente, l'éducatrice elle connaît un employeur elle va le conseiller, franchement, normalement c'est que c'est bon, en fait c'est l'employeur qui a demandé à l'éducatrice de lui chercher un apprenti, pour moi c'est comme ça que ça a marché la plupart du temps et quand j'y vais moi, pour un entretien et ben ça devient négatif, ça toujours été comme ça, deux trois fois ça été comme ça>>.’ Comme souvent, il aura fallu attendre la fin de l'entretien pour qu'une "clef" maîtresse du "problème" déposé dans la situation d'interaction vienne éclairer cette situation de recherche de contrat d'apprentissage tant problématique.

Par deux reprises "pistonnée" auprès de chefs d'entreprises en recherche d'apprentis, Latifa n'a pas été retenue. Présélectionnée par la personne qui l'a indiqué auprès de ces responsables d'entreprises, son niveau scolaire ne peut être mis en jeu comme motif explicatif. Les refus essuyés ne peuvent donc être imputés qu'à sa personne, comme personne n'ayant pas su convaincre lors de l'interaction que constitue l'entretien. C'est donc sa personne, en tant que personne agissante, qui est directement mise en cause par cette procédure de sélection que constitue l'entretien.