4.1.2.1.3. DES EMPLOIS AUX METIERS

De plus, le <<milieu hospitalier>> auquel fait référence Christine pourrait traduire cette problématique d'évolution constante et rapide des "métiers", ou plutôt des "emplois", qui complexifie les possibilités d'identification de ces activités professionnelles, dont les dénominations officielles sont en perpétuelle reconstruction.

Or, cette tendance à la substitution des "emplois" aux "métiers", en ce que les uns sont pensés, entre autres choses, dans une logique temporaire, les autres dans une logique d'indétermination du temps, ne va pas sans poser quelques problèmes.

Si le lien entre métiers et professions, d'une part, et type de contrat de travail, d'autre part, ne semble pas aller de soi a priori, je vais m'attacher à l'établir. Tous les emplois occupés dans le cadre de la norme dominante de l'emploi à durée déterminée et à temps plein ne constituent pas nécessairement, a priori, "un métier" en ce qu'ils correspondraient à l'exercice de "métiers" ou de "professions" sanctionnés par des qualifications, identifiés par des groupes d'appartenance et un "ethos" professionnel spécifique. C'est par une professionnalisation inscrite dans la temporalité d'une carrière, ou bien initiée par la certification, que va se construire un rapport au travail qui permettra l'élaboration d'un processus d'identification à l'activité exercée qui pourra se parler en termes de "métier" ou de "profession". Car l'enjeu d'une insertion professionnelle est un enjeu identitaire. C'est parce qu'il y aura identification possible de la personne à l'activité qu'elle exerce, qu'il y aura appropriation de cette activité, incorporation - "je suis mécanicien".

L'opposition conceptuelle qui peut se dessiner entre métiers et professions, d'un côté, emplois et boulots, de l'autre, tient à cette différence fondamentale que constitue l'identification aux uns, et pas aux autres. Car ce qui rapproche un boulanger et un médecin, d'un fonctionnaire public ou d'un agent de maîtrise en fin de carrières, c'est bien cette possibilité de dire et de penser leurs activités professionnelles respectives comme engagement de soi au-delà de la seule activité exercée, du seul poste occupé, du seul rôle rempli. Il ne s'agit plus alors seulement de parler de "vocation", de "réalisation de soi", a priori, mais de rendre compte d'un processus d'engagement de soi, a posteriori. Engagement, en ce que s'est construite une identité qui permet de se penser comme appartenant à un collectif, et non seulement comme individu isolé, atomisé, délié.

Car l'enjeu du travail, tel qu'il s'est construit au cours des derniers siècles, n'est-il pas plus fondamentalement celui du lien social ? Si les politiques publiques successives s'acharnent depuis plus de trente ans à trouver des issues au problème social que constitue le chômage, autrement que par la généralisation d'un RMI, c'est bien que le travail est beaucoup plus qu'une "simple" question de revenus. La généralisation du chômage met en question le maintien du lien social. Or ce lien social s'est construit au cours des dernières décennies autour du travail et plus précisemment autour de la possibilité pour les individus de se penser comme appartenant à des collectifs professionnels. En cela, la progression constante de formes d'emplois particulières qui atomisent toujours plus les statuts, les fonctions, les individus, n'est pas pour rassurer, ni le quidam, ni les professionnels de l'insertion, ni les sociologues. Car la disparition du "métier", figure idéale de l'activité professionnelle stable plutôt que donnée objective du marché du travail, remet en question les processus de socialisation professionnelle et par là-même les processus d'identification sociale. Sans possibilité pour les individus de s'identifier à des collectifs signifiants, qu'ils soient professionnels, culturels, religieux, etc, l'individu se délie de la société, et c'est l'existence même de la société, comme société des individus, qui est remise en question.