4.1.2.2.1. STRUCTURE DE CONTRÔLE SOCIAL

Elle poursuivra : ‘<<Depuis ben ils m'ont pas lâchée là-bas (la Mission Locale)>>.’ Comment alors entendre, si ce n'est comme expression d'une dépossession d'elle-même, cette relation mise en place avec la Mission Locale, qu'elle ne semble plus pouvoir maîtriser. Situation où la Mission Locale devient "persécuteur". Autant peut-être parce que, par une politique "clientéliste" liée à l'obligation de résultats, elle relance les demandeurs d'emploi, dont elle a la charge du suivi, dans un objectif institutionnel non explicite de "contrôle social", que parce que par un processus de dépossession de l'"Autre" qu'il faut "insérer" dans un moule social dont l'emploi constitue une des figures les plus normatives, elle en oublie la demande propre du demandeur.

Sont en jeu, en effet, deux processus simultanés qui peuvent contribuer à éclairer cette situation.

D'une part, la Mission Locale se doit en effet de "relancer" régulièrement les jeunes accueillis, autrement dit de reprendre contact avec eux s'ils ne le font pas d'eux-mêmes, afin de savoir ce qu'ils deviennent, et si besoin est, de leur proposer une nouvelle rencontre afin d'étudier avec eux des possibilités d'aide à leur insertion sociale et professionnelle. Si cette démarche s'inscrit dans le souci louable de ne pas laisser des jeunes "errer" sans soutien, elle ne doit pas nous illusionner toutefois sur la dimension de "contrôle social" qu'elle revêt, tant il est clair que les structures d'insertion, telles que les Missions Locales, doivent faire continuellement la preuve de leur efficacité et légitimer le bien-fondé de leur existence par des évaluations constantes, quantitatives plus que qualitatives.

La procédure de relance des jeunes correspond ainsi à une opération de "prise de contact" automatiquement enregistrée et comptabilisée à l'actif de la Mission Locale, qui peut ainsi se prévaloir d'une quantité toujours plus importante de jeunes "accueillis" pour justifier son action. Ces procédures, à la portée symbolique complexe, car à la fois animées de la volonté, chez les professionnels de terrain, "d'aider les jeunes", et de la volonté de quantifier, et le public et les "résultats", du côté des décideurs administratifs, ont également été appréhendées de la manière suivante par Jacques ION : ‘<<Sous couvert d'évaluation, on assiste surtout à la prolifération d'instruments de quantification et de mesures en tout genre et à un fourmillement d'élaborations ou de recueils de données statistiques. Ce que l'on peut appeler le fantasme du tableau de bord. Ce qui révèle surtout une montée en puissance des interventions administratives par rapport aux interventions techniques des praticiens. Bref, le paradoxe ne serait pas mince : que les politiques sociales se territorialisent et donc tendent à accroître le poids et l'influence des travailleurs sociaux de terrain au dépens de ceux en postes fonctionnels, et c'est alors même que tendrait, inversement, à se développer, en amont comme en aval, une administration de contrôle de la territorialité.>’>224

D'autre part, la logique du "projet" que nous avons déjà évoqué précédemment, et qui renvoie à une dimension "éducative" inhérente à la logique du travail social tel qu'il s'est constitué en France depuis les années 70, pourrait contribuer à stigmatiser toujours davantage les populations qui ne peuvent y adhérer. Mobilisant à nouveau les travaux de Jacques ION, je m'accorde pleinement avec lui pour penser que, ‘<<ces idéaux spécifiques (dont l'idéal participatif) contribuerait également, chacun à leur manière, à conforter ce qui constituait sans doute le ressort caché mais puissant de la pratique du travailleur social : le mythe éducatif. (...) Dans une période de croissance économique, la visée demeurait celle, non pas seulement d'aider les populations qu'ils avaient en charge, mais de leur apprendre à devenir "autonomes", à se "situer dans la société", et cet espoir moteur des idéologies professionnelles trouvait à se ressourcer dans le sentiment de vivre dans une société de progrès. Le travail social pouvait alors être perçu comme un moyen de réinsérer dans le flux montant ceux qui s'en trouvaient momentanément écartés.(...). Ce ressort éducatif ne peut plus jouer.(...). Mais surtout le ressort éducatif est cassé parce que, certes de façon liée, le mode d'intervention véhiculé par le social territorialisé suppose d'autres façons de faire et écarte toute vision à long terme. (...). Parce que l'objet assigné est de gérer les exclus sans l'espoir de les voir recoller prochainement au peloton.>>225. En cela peut-être aussi, le <<depuis ils m'ont pas lâchée là-bas>>’ de Christine, témoigne de l'impuissance des travailleurs sociaux à trouver les réponses adéquates à des situations de "crise" d'une portée nouvelle, dont ils ne savent que faire et qui les obligent à "tenir" leurs "clients" jusqu'à ce qu'ils leur trouvent une solution.

Notes
224.

1991, p 140

225.

idem, p 167