4.1.2.2.2. PÉDAGOGIE DE LA "DÉPOSSESSION"

Confirmation à nouveau de cet acte de dépossession dans la façon dont Christine reconstitue sa prise de contact avec la Mission Locale : ‘<<Ce qu'ils me proposaient, ba c'était des stages en centres de formation comme heu...comme la précédente hein, c'était surtout des stages... plus que du travail...moi c'était du travail parce que les stages je m'y suis jamais tenue...surtout des stages qui aboutissent pas quoi...ils nous faisaient faire des jeux de cartes, des dessins...c'était pour ceux qui savaient pas ce qu'ils voulaient faire dans la vie donc ils nous faisaient faire des trucs je comprenais pas...j'ai abandonné quoi>>’. Christine prend contact avec la Mission Locale pour une recherche d'emploi, on lui propose un stage de formation.

Le "ressort pédagogique" est cassé car l'avenir n'est pas à l'optimisme, mais il est cassé aussi du fait d'"outils" pédagogiques qui ne paraissent pas toujours adaptés aux demandes du public. Christine a formulé sa demande en termes de "recherche d'emploi" on lui répond en termes de "formation", mais davantage encore en termes de "formation pour ceux qui ne savent pas ce qu'ils veulent faire". Stigmatisée comme jeune "qui ne sait pas ce qu'elle veut faire" alors qu'elle veut "travailler", Christine va s'exclure du dispositif sur lequel elle a été orientée contre son gré, et qui se révèle inadapté par rapport à sa demande.

Ce "moment" dans le parcours de Christine illustre parfaitement la situation de nombreux jeunes non qualifiés qui s'adressent à la Mission Locale pour une recherche d'emploi - de "n'importe quel boulot" - et qui vont se heurter à la structuration d'un secteur de l'insertion qui ne fonctionne que dans la logique de la qualification professionnelle orientée vers un "métier", répondant en cela, en partie, aux exigences de formation posées par les entreprises. Car les postes de travail qui n'exigent pas de formation existent encore même s'ils sont en nette et constante diminution. Mais surtout, le dispositif d'insertion du Crédit Formation Individualisé autour duquel s'articule l'activité principale des Missions Locales s'inscrit dans une philosophie de la qualification professionnelle pour tous comme moyen incontournable d'accès au marché du travail. Il ne relève donc pas des Missions Locales, mais des Agences Intérimaires, de proposer aux jeunes demandeurs d'emploi des postes de travail qui ne requièrent pas de qualification.

Mais beaucoup de jeunes non qualifiés le sont pour avoir été stigmatisés dans le système scolaire comme jeunes de faible niveau scolaire et consécutivement dans l'incapacité de suivre et valider des filières de formations qualifiantes. L'objectif "louable" du dispositif CFI, de permettre à tous les jeunes sortis du système scolaire sans qualification d'obtenir une "deuxième chance" de qualification, se heurte néanmoins à l'impossibilité de la plupart de ces jeunes d'accepter, une fois encore, un cadre scolaire potentiellement stigmatisant, qu'ils préféreront alors fuir à l'image de Christine, d'Agnès, de Paulo ou encore de Said.

L'impasse dans laquelle se retrouvent alors ces jeunes, sommés de "choisir" entre un dispositif de formation alternée qui reproduit en partie le cadre d'évaluation scolaire, et la "précarité" de petits boulots temporaires et aléatoires, se résoudra alors au fil d'expériences étirées dans des temporalités plus ou moins longues qui peuvent porter certains d'entre eux dans une fragile errance jusque passée la trentaine.