4.1.2.4.2. METIERS AU MASCULIN-FEMININ

Il est intéressant de noter enfin, que l'argument qu'elle mobilise pour justifier, a posteriori, son attrait depuis l'enfance pour le secteur hospitalier, ne relève pas d'une catégorie traditionnellement mobilisée par les femmes, et/ou au sujet des femmes, quand il s'agit d'aborder ce type de profession, la catégorie du soin, de l'aide. Au contraire, il s'agissait de <<découper des jambes>> ! Autrement dit, loin d'être dans le registre du soin, tels que peuvent être symbolisées les professions de l'aide-soignante ou de l'infirmière, elle situe sa reconstruction dans le registre de l'action tel que l'on peut se représenter la profession du chirurgien. C'est davantage l'imaginaire du masculin, que celui du féminin, qui est ici initialement posé, et qui peut éclairer, à titre d'hypothèse partiellement explicative, l'abandon et le refus du secteur de la vente, fortement marqué par la symbolique féminine, et peut-être rejeté pour cette raison même.

Il convient ici de s'interroger sur les effets d'assignation des deux sexes respectifs à des secteurs professionnels d'autant plus fortement marqués par le genre qu'ils se situent au bas de l'échelle sociale. Lors des procédures de réorientation en fin de 5ème ou en fin de 3ème, les filles avaient228 le choix entre "les" filières du tertiaire - secrétariat, vente, paramédical - et "la" filière du secondaire - le textile presque exclusivement. Les garçons étant pour leur part assignés dans leur majorité au secteur secondaire dans les métiers de la métallurgie, de la mécanique, du bâtiment, etc. Ces assignations sexuellement différenciées, opérées par le corps enseignant, s'appuient, chez les élèves, pour la plupart originaires des classes dites populaires, sur des systèmes de valeurs véhiculés dans la sphère familiale, fortement attachés à une différenciation tranchée des rôles assignés à chaque sexe.

Si un processus "d'homogénéisation" entre les sexes tend à se diffuser dans la société, à travers notamment la classe moyenne, le développement de nouvelles filières professionnelles, qui ne reproduisent pas les oppositions de genres sur lesquelles s'appuyaient les anciennes identités de métiers, pourrait également participer à ce processus d'homogénéisation. Toutefois des différences significatives subsistent entre les sexes quant à l'accès au marché du travail. Pour illustrer ces propos, je m'appuierai sur les travaux de Marie DURU-BELLAT qui note : ‘<<Les formations en BEP étant moins sexuées, on observe mieux les différences. Après un BEP d'électronique, les taux de chômage des garçons et des filles sont de 15 % et 44 %. A contrario, les garçons qui abordent des formations traditionnellement "féminines" ne perdent pas leur avantage. Après un BEP d'agent administratif, les taux de chômage des garçons et des filles sont de 22 % et 33 %>>’ 229. A quoi alors référer ces notables différences ? On sait que beaucoup de jeunes filles ayant entrepris des formations "traditionnellement masculines", et l'électronique demeure un secteur professionnel marqué par le "masculin" même s'il l'est moins que le secteur du bâtiment, renoncent à poursuivre leur insertion professionnelle dans le secteur dans lequel elles se sont formées230. En revanche, on explique moins pourquoi un secteur d'activité comme celui du secrétariat-comptabilité, marqué par une forte présence féminine depuis l'entre-deux-guerres, semble à nouveau être réinvesti par les hommes qui semblent bénéficier d'une large préférence.

Le modèle de l'homme "pourvoyeur" des ressources familiales pourrait se trouver remobilisé et renforcé par la crise de l'emploi. Si aucune mesure gouvernementale n'affiche explicitement la volonté d'organiser socialement des priorités d'accès à l'emploi, il se pourrait que se mettent en place, comme "spontanément", des modes de gestion de la main-d' oeuvre qui vont privilégier le recrutement des hommes au détriment des femmes dans des secteurs dont elles avaient fait de quasi forteresses. Cela ne serait pas sans de lourdes conséquences sur la survie économique des familles monoparentales, en constante augmentation et très majoritairement sous la responsabilité des femmes.

Notes
228.

J'emploie l'imparfait car les procédures d'orientation ont notablement changé ces dernières années, et il sera intéressant d'en observer les conséquences.

229.

1990, p 132

230.

REVEL (D), 1993