4.1.2.4.3. NIVEAU INSUFFISANT

Les "projets" que Christine évoque et qui se succèdent font toujours référence aux secteurs d'activités : la vente, la boulangerie, le milieu hospitalier, et non pas aux métiers, traduisant sans doute par là, comme nous allons le voir, une impossibilité à faire coïncider aspirations et possibles. ‘<<Après je me suis dit ben peut-être infirmière un truc comme ça et puis bon mais y a pas le BAC y a rien donc je me suis dit ben aide-soignante et c'est là que j'ai fait un deuxième stage où vraiment ils m'ont mis des bâtons dans les roues en me disant que mon niveau il était vraiment bas et m'avaient fait faire une remise à niveau qui a servi à rien...préqualification...qualification...pour pouvoir accéder à des examens et rentrer dans une école, bon moi je laisse tomber c'est trop long (...) et depuis ben depuis je fais des remplacements à droite à gauche, j'fais des ménages, j'garde des enfants...>>’. En quelques mots, le chemin d'une désillusion est parcouru. Niveau insuffisant qui ne peut se récupérer que par un parcours du combattant, qui sera à peine engagé, faute de croire, non dans le projet, mais en elle-même, puisque par deux fois déjà on lui a signifié son incapacité - <<niveau insuffisant>> - à poursuivre les objectifs qu'elle s'était fixés.

Elle introduit son "projet" en faisant appel à des catégories de "métier" - <<infirmière>>, <<aide-soignante>> - qu'elle associe toutefois à un <<truc>> comme pour bien marquer, par la dévalorisation au rang de l'indéfinissable, le déni qui lui est renvoyé depuis de longues années déjà. Quand l'espoir qu'elle y avait investi s'effondre, il sera alors fait référence à des "activités" : ‘<<Je fais des ménages, je garde des enfants>>.’ Activités qui par leur dénomination même nous invitent à penser qu'elles ne sont pas constitutives de l'identité qu'elle souhaite se construire, ce qui dans le cas contraire, l'aurait conduite à nous dire qu'elle était "femme de ménage" ou "baby-sitter".

Comme Latifa, Christine va appréhender en termes de durée un parcours de formation potentiel. Ce n'est pas en termes de difficultés, comme pourrait le laisser à penser l'évocation de son faible niveau scolaire, qu'elle évalue la situation mais en termes de temps. Si l'une est prête à consacrer de nombreuses années à son parcours de qualification professionnelle, l'autre aura renoncé rapidement ayant sans doute fait une auto-évaluation plus négative de ses chances de réussite. Mais surtout l'évaluation des chances de réussite du parcours se fait de façon projective pour l'une, de façon rétrospective pour l'autre.

Désillusionnée, Christine ne remet pas pour autant en question son "projet", peu à peu éclairci dans le cheminement du discours, elle le réajuste. D'une logique scolaire, diplômante, elle passe à une logique professionnelle, validante. Désormais, il s'agit pour elle de faire reconnaître un nombre d'années travaillées et non plus un niveau scolaire : ‘<<Pour faire le truc d'aide-soignante faut deux ans de travail accumulé, donc là je continue je fais des ménages et quand j'aurai le nombre d'heures et ben j'attaquerai, pour la formation d'aide-soignante (...) ou alors il faudrait que je puisse rentrer dans un hôpital>>.’