4.1.2.5.2. DE L’UTILITE A LA NECESSITE

Être utile doit pouvoir correspondre à un choix professionnel rémunérateur, et ne s'inscrit nullement dans une tradition judéo-chrétienne de la bienfaisance. Relancée sur ce qu'elle entend par le fait de se rendre utile, elle poursuit en me relatant une expérience dont elle ne définira pas le cadre précis, mais que l'on peut supposer s'inscrire dans le cadre d'un contrat emploi solidarité : ‘<<Quand j'étais au foyer des Sans-Abri c'était rémunéré maintenant j'y ferais plus des trucs comme ça...avant j'l'aurais fait des trucs comme ça même bénévolement, ...non au bout d'un moment on change et puis on n'a plus envie, ...des trucs comme ça quoi style Armée du Salut, ça ne me viendrait même plus à l'idée...non...plus maintenant, moi je veux travailler et puis je veux avoir de l'argent je veux avoir un appartement c'est tout ce que je veux et puis ma foi y a tellement de gens qui pourraient donner des coups de mains, qui sont peut-être pas à la recherche d'un emploi, qui sont disponibles, ils peuvent le faire, ils ont qu'à y aller moi j'en n'ai pas envie !>>’. S'occuper des plus démunis est une activité dont elle a fait l'expérience au cours d'un CES. Se sentant peut-être glisser de leur côté, c'est aujourd'hui un luxe qu'elle abandonne volontiers aux nantis d'un emploi. Être utile, pas pour se dévouer par pure charité, mais pour se sentir reconnue utile par les autres et payée de retour par un emploi, source de revenus et d'autonomie. Le travail est très clairement revendiqué dans sa dimension instrumentale.

Ainsi, en approfondissant la question sur le sens donné à "l'utilité", on est passé du <<truc d'aide-soignante>> à <<moi, je veux travailler>>. Autrement dit, la catégorie de l'"utilité" vient révéler que le projet de certification d'aide-soignante est sans doute tout autant un projet "utilitaire", en ce qu'il peut permettre d'échapper à la "précarité" d'emplois non choisis et peu rémunérateurs, qu'un projet de "réalisation de soi" où elle pourrait se "rendre utile".

L'opposition qu'elle met en mots entre l'activité <<rémunérée>> exercée auprès de personnes en difficultés qu'elle aurait même accepté d'exercer bénévolement, et le "travail" auquel elle aspire désormais pour accéder à une autonomie dont elle est privée, vient nous renseigner sur l'évolution du sens qu'elle va conférer au travail au cours de son parcours. Au travail "réalisation de soi" guidé par le sentiment de l'utilité s'est substitué un travail "instrumental" guidé par la nécessité.