4.1.2.6.1. IDENTIFICATION IMPOSSIBLE

Christine ne s'identifie pas au collectif des "professionnelles" qui exercent dans le secteur des emplois de proximité, faute d'une professionnalisation certifiée qui lui permettrait de mettre en place un processus de reconnaissance réciproque nécessaire à la construction de cette identité professionnelle. Et elle ne peut s'identifier, une fois encore, au collectif des "jeunes" marqués par une identité masculine qui l'exclut de fait en tant que femme.

Christine pointe ici avec justesse un processus de catégorisation qui passe le plus souvent inaperçu et qui touche le caractère fortement sexué de cette catégorie explicative d'un ensemble de problèmes sociaux qu'est la catégorie "jeunes". Quand cette catégorie est associée à celle de "problèmes", il est notable de remarquer en effet qu'elle cible préférentiellement la partie masculine de cette sous-population. Quand il s'agit d'appréhender les problèmes spécifiques des "jeunes femmes" c'est alors la catégorie "femme" qui sera mobilisée comme catégorie explicative.

On voit par là comment se construit une logique de la différence des sexes, en catégorisant, dans l'ordre du "général" une sous-population, celle des "jeunes", implicitement pensée dans les termes du "masculin", et dans l'ordre du "particulier" la population des "femmes" qui reste impensée en tant que "jeunes". à contrario, la spécificité des problèmes des "jeunes hommes" reste impensée, car érigé en tant que norme à partir de laquelle les particularismes s'évaluent, le "masculin" n'est jamais catégorisé comme catégorie "spécifique" et demeure impensable en tant que tel.

Seront ainsi mises en oeuvre de multiples actions visant à traiter les problèmes spécifiques rencontrées par les femmes sur le marché du travail, telles que les actions visant la diversification de l'orientation professionnelle des filles, alors que jusqu'alors restent impensées des actions visant à aborder les problèmes spécifiques aux hommes.

Mais ce qui est également notable dans les propos de Christine, c'est que si elle ne peut s'identifier à ce collectif "jeune" marqué par le masculin, elle ne construit pas pour autant une catégorie "femme" à laquelle elle pourrait s'identifier. Latifa avait construit la catégorie culturelle comme "problématique" - <<je suis une arabe>> - et de ce fait justificative de ses échecs. Ce n'était pas en tant que femme qu'elle construisait ses difficultés, mais en tant que personne d'origine étrangère, et cette catégorie culturelle constituait un collectif d'identification signifiant. Christine ne se reconnaît d'aucun collectif, et si elle s'exclut du collectif des hommes elle ne se constitue pas pour autant comme membre du collectif des femmes. Comme elle, de façon significative, dix jeunes femmes, parmi les dix-huit rencontrées, ne s'identifieront à aucun collectif potentiellement porteur d'une identité socioculturelle. Ni "femmes", ni "jeunes", ni "maghrébines", ni "professionnelles", ces jeunes femmes semblent souffrir d'un processus temporaire de non-identification qui ne concernera que trois des jeunes hommes rencontrés, Johan, Frédéric et Vincent. Cette impossible identification pourrait être la voie de l'exclusion.

Christine va évoquer, à travers les "autres" que représentent les "jeunes", les périodes de recherche d'emploi dans les termes de "l'attente". Comme Latifa, Nagette, Sofia et Fahra, c'est dans les termes d'une temporalité indéterminée et non maîtrisable qu'elle construit le sens de "démarches de recherche d'emploi" qui prennent peu à peu l'allure de "non-démarches d'attente d'emploi" - ‘<<Ils attendent que le temps il se passe>>. ’

Ce pourrait être dans les termes d'un excès de travail, de démarches, de déplacements, de courriers, que viendrait se construire la catégorie de la "recherche d'emploi", mais ce sera dans les termes de "l'attente", d'un temps qui s'étire indéfiniment et qu'elle va tenter, à l'instar de Latifa, de rattraper subitement : ‘<<Moi faut que j'trouve quelqu'chose vite parce que moi j'en ai marre marre marre...des fois j'touche même pas 1.000-1.200 francs par mois, qu'est ce que vous, encore moi j'ai la chance d'être chez mes parents, je suis quand même pas dans la misère, mais bon j'ai 25 ans, je touche heu 1.000 francs par mois faut pas déconner, pour ça je vais là, je vais faire un dossier (RMI) et puis on verra je vais faire comme les autres, le RMI j'vais attendre qu'il tombe tous les mois jusqu'au jour peut-être que j'vais trouver quelque chose de bien enfin de bien, de correct>>. ’