4.1.2.6.6. REVENU MINIMUM D’EXCLUSION

Pour Christine, tout comme le "petit boulot", le RMI et plus globalement l'ensemble des aides sociales, ne constituent pas un objectif, mais un système palliatif supplémentaire pour se construire une vie "normale" : ‘<<ça m'dérangerait d'attendre, que ça se passe chez moi, mais si vraiment je trouve rien ben tant qu'à faire puisque j'ai droit au RMI je le prends et puis je travaille au noir à droite à gauche (...) et moi j'ai pas envie d'en arriver là non plus...>’ >. Ce qui est intéressant à noter ici, n'est pas tant le contenu du propos, que le fait même de ce propos dans ce cadre-là. Si je suis là, avec elle, dans l'objectif de faire une enquête auprès des jeunes de la Mission Locale, elle n'en a certainement pas pour autant oublié mon statut de conseillère de la Mission Locale, et à ce titre, même si cela est peut-être très vague pour elle, comme pour la plupart, de "représentante" des institutions mises en place par l'état pour gérer les processus d'insertion professionnelle.

Malgré cela, ou, pour cette raison même, elle n'hésite pas à me faire part de ce qui n'a même pas besoin d'être caché, tant cela est devenu une banalité, une "contre-norme" ; elle touchera le RMI et travaillera au noir à côté. Mais sait-elle seulement que cette pratique peut lui coûter la suppression du RMI ? Quand une pratique "hors-norme" parce qu'"interdite" par la loi, le système, ...se banalise au point de devenir une "contre-norme" pour les institutions et une "norme" pour les individus, il devient nécessaire de s'interroger sur les fondements et l'opérationnalité d'un dispositif tel que celui du RMI.

Poursuivant son discours : ‘<<...Les autres...ben je dis y en a qui se démerdent autrement et puis voilà et puis ils s'en sortent...surtout les mecs ça...les mecs sont casés, ils ont un enfant et puis voilà...après c'est le cercle hein, ils ont un appartement parce qu'ils ont travaillé pendant quelque temps, après ils ont plus de travail, peuvent pas les mettre à la rue parce qu'ils ont un enfant, donc y a des aides, y a des machins comme ça...ils s'en sortent bien...y en a qui s'en sortent pas...(relance: s'en sortir ?) s'en sortir c'est pouvoir faire sa vie comme comme heu nos parents ils ont fait et puis faire des enfants parce que heu une vie sans enfants c'est peut-être pas normal non plus, enfin ça dépend des gens mais moi j'ai envie d'avoir des enfants et puis pouvoir manger à sa faim et puis voilà c'est tout sans faire d'excès quoi, avant on m'aurait posé la question c'était voyager, partir, machin, plus maintenant, maintenant c'est le minimum quoi...minimum, avoir un toit et manger, avoir des enfants, pouvoir qui puissent aller à l'école et puis voilà...et puis avoir du boulot, et si y en n'a pas tout le temps, au moins de temps en temps>>.’ Le travail n'apparaît pas comme ce qui donne sens à l'existence, c'est un moyen, substituable, pour réaliser sa vie, <<faire sa vie>>, se réaliser. Faire sa vie, pour Christine c'est avoir des enfants. Pour cela, il faut obtenir de la société le minimum auquel on a droit - <<j'ai droit au RMI>> - et le compléter - <<au moins de temps en temps>> - par du travail.

On voit dès lors combien le travail n'est pas, pour Christine, un vecteur de réalisation personnelle incontournable, ou alors peut-être, comment il lui a fallu se reconstruire, au fil d'un parcours d'exclusion, une identité "acceptable" pour elle-même, tournée vers la "reproduction" d'elle-même - <<avoir des enfants>>. Du reste, <<s'en sortir>>, c'est pouvoir faire sa vie comme les parents, avoir des enfants, un toit, vivre <<sans excès>>. Loin de toute velléité anarchiste ou contestataire, ce que Christine revendique c'est l'intégration minimum à la normalité. Comme elle, Nagette, Sophie, Sonia, Sandrine B, Annie et Sofia aspirent à "une petite vie tranquille" que symbolise la trilogie famille-boulot-loisirs.

Il s'agit pour moi de contribuer aux débats sur le RMI en essayant de comprendre comment se vit "de l'intérieur" ce que l'on a pris l'habitude de nommer "de l'extérieur", l'exclusion ; puisque si le "I" du RMI est bien le "I" de "l'insertion", le doute subsiste quant à savoir si l'allocation est en elle-même constitutive d'insertion ou si l'insertion est au contraire l'objectif visé post-allocation ? On voit bien par là, dans la difficulté qu'il y a, à clarifier le couple insertion-exclusion, dedans-dehors, normal-pathologique, à identifier les critères de l'insertion par rapport à ceux de l'exclusion, à quel point l'enjeu est un enjeu de frontières.

Autrement dit, Christine accepterait bien à la limite le statut de bénéficiaire du RMI, si on lui accorde en contrepartie la possibilité de <<faire sa vie>>, <<d'avoir des enfants>>. Revenu Minimum d'Insertion dans la société à nécessairement compléter par quelques activités non déclarées, car l'Insertion dans le travail paraît, au fil des ans, un objectif qui échappe au possible.