4.1.2.7.2. FAUX CHOMEURS OU VRAIS DEMANDEURS D’EMPLOI

La référence à l'ANPE lui permettra d'enchaîner son discours par le recours à l'exemplification. La voisine sera ainsi mobilisée pour renforcer un discours qui s'inscrit toujours plus dans la description de la "dépossession" : ‘<<Le nouveau truc maintenant c'est on nous propose quelque chose on est obligé d'accepter...moi j'suis pas obligée j'touche pas d'allocations ! donc quand je vois ma voisine elle est au chômage maintenant, mère de famille hein et ben elle touche des allocations et ben quand l'ANPE lui demande de se présenter à tel ou tel endroit même si c'est un truc, c'est pareil elle a pas de qualification, elle a rien, et ben s'ils lui proposent d'aller tel jour à telle heure ou de téléphoner à tel employeur elle est obligée d'y aller, elle est obligée de téléphoner même si c'est un truc qui correspond pas à ce qu'elle cherche, tout ça parce qu'elle touche des allocations...ben voilà, donc elle est obligée de prendre le bus, pour sortir de Corbas faut 1 heure, 1heure 1/2, et puis voilà elle y passe sa journée, ça aboutit jamais à rien mais au moins elle s'est présentée et elle garde ses allocations...comme elle dit ça me promène!>>’. Ce qui est intéressant ici est la conduite de "résistance"238 qui est opposée à l'imposition. Il n'y a dans ce discours ni révolte, ni remise en question, ni même plainte, mais plutôt dérision. La dérision de celle qui se sent dépossédée, jusqu'à même la possibilité de s'opposer à ce qui lui paraît dénué de sens.

Le système de contrôle des dépenses publiques en matière d'aide à l'emploi vient ici illustrer sous une forme caricaturale, mais néanmoins significative, le processus global de réduction des dépenses publiques qui visent à trier les "vrais demandeurs d'emploi" des "faux chômeurs". Autrement dit, il s'agit de construire la catégorie légitime du "vrai" demandeur d'emploi autour de la catégorie non moins légitime "d'actif". Le demandeur d'emploi légitime digne d'être aidé par le maintien de ses allocations est celui qui se pliera au modèle dominant de "l'actif" demandeur d'emploi, "chercheur" inépuisable. Tous ceux qui se seront démoralisés, fatigués par les réponses négatives, voire par l'absence de réponses, sont reclassés au rang de "non-demandeurs d'emploi" puisque "non-actifs". Ils feront alors l'objet d'une prise en charge "sociale", le plus souvent dans le cadre du dispositif du RMI, pour personnes catégorisées comme "en grandes difficultés".

La catégorie "d'actif" qui constitue l'archétype de la société salariale aura alors permis de discriminer, ceux et celles qui d'un côté auront été appréhendés comme "aptes" à s'inscrire dans le bastion des "actifs", qu'ils soient en "activité" ou "demandeurs d'emploi", ceux et celles qui d'un autre côté auront été classés comme "inaptes" à s'adapter à la société salariale, et relèveront de l'assistance.

Notes
238.

J'emprunte à Marilena CHAUI, philosophe brésilienne le concept de résistance auquel elle donne la définition suivante : <<Nous ne nous référons pas à des actions délibérées de résistance, mais à des pratiques dotées d'une logique qui les transforment en actes de résistance>> in Conformismo e resistência, 1996, p 63