4.1.2.7.4. ETRE « ACTIF »

Dès lors, la recherche d'emploi devient une affaire d'attente et de chance. ‘<<Des fois j'entends parler d'un truc où ils cherchent, comme là, les ménages chez les personnes âgées c'est l'ANPE qui m'a contactée, elle m'a demandé de faire un courrier et tout, j'ai fait un courrier et puis bon ils m'ont prise et machin, sinon, j'entends parler d'un truc où ils cherchent j'envoie un courrier et j'attends (...) ils attendent (les "autres") un jour qui sont un peu mieux qu'un autre pour faire des démarches, pour aller voir les gens et puis il suffit que ça marche pas et ben ils laissent tomber pendant plusieurs mois, puis après ils recommencent...comme moi je fais quoi...>>.’ Rechercher un emploi ne s'inscrit pas dans une démarche offensive de recherche "active", mais plutôt dans une posture d'attente "passive", ponctuée de quelques actifs sursauts.

L'entourage qui constitue l'horizon de références de Christine dispose sans doute comme elle "d'expédients" de natures diverses qui permettent de survivre à une situation de chômage prolongé et pour beaucoup non indemnisé. Installés dans une "précarité" professionnelle que l'on peut imaginer inconfortable, la mise en route de démarches de recherche d'emploi "actives" semble pour autant quasi impossible tant la perte de confiance, en soi et en autrui, est grande. C'est que les démarches de recherche d'emploi pourraient venir révéler un rapport au monde qui dépasse largement ce seul cadre.

Cette opposition dans les modalités de recherche d'emploi pourrait illustrer un certain type de rapport à la société, ou plutôt à une société plurielle, celle des "actifs" dont font partie les demandeurs d'emploi, celle des "inactifs", retraités, étudiants, femmes au foyer.... Ainsi, faire partie de la communauté des "actifs", autrement dit des "productifs", c'est adopter un rapport "actif" à la société, c'est contribuer par son activité à sa production. Ainsi comme le note Marie-Louise PELLEGRIN-RESCIA "le terme inactif connote non pas seulement celui qui n'a pas d'activité mais celui dont l'activité n'est pas appréciée (ne reçoit pas de prix) puisque l'on refuse de le payer. "Inactif" devient donc synonyme d'"incapable" : ce sont ceux que la société préfère payer à ne rien faire, ceux dont l'activité n'étant pas classable, dérangerait le système de classification"239.

Ainsi refuser d'entrer dans une pratique de recherche d'emploi "active", c'est peut-être déjà refuser une certaine conception de la société, d'une société qui ne penserait plus l'Homme que comme "producteur", et plus comme "acteur" ou "créateur". Refuser ce qu'avait imaginé de pire Hannah ARENDT, "la perspective d'une société de travailleurs sans travail, c'est-à-dire privés de la seule activité qui leur reste", car l'époque moderne aura réduit la vita activa 240au seul travail.

Mais Christine n'exprime pas son refus de participer à cette société des "actifs" et de se conformer au modèle de "l'actif" qui y prévaut, elle en est rejetée et s'en écarte peu à peu de peur d'en être par trop de fois rejetée.

Notes
239.

1993, p82

240.

Hannah ARENDT a défini la "vita activa" à travers trois activités humaines fondamentales : le travail, l'oeuvre et l'action.