4.1.3.1.3. LA MISSION LOCALE

Après avoir retracé brièvement son parcours d'insertion professionnelle, Nadine va rebondir sur la question d'ouverture de l'entretien, pour nous signifier l'insignifiance de cette éphémère rencontre : ‘<<l'Assintercom, je crois que je l'ai vu une fois, c'était Madame X,...mais c'est vrai que bon, en même temps ils peuvent pas prendre les gens par la main, mais, c'est un peu à nous de nous prendre en charge, mais c'est vrai que c'est pas très évident parce que quand on sort comme ça de tant d'années d'écoles, d'études, se retrouver comme ça, un peu, sur le marché du travail, c'est vrai qu'y a des gens comme ça qui apportent une aide comme l'Assintercom, mais c'est vrai qu'on attend toujours un peu plus quoi, (rires), donc on se trouve un petit peu perdu euh, mais en fait c'est assez réconfortant d'un autre côté de se sentir écouté, et puis, on s'intéresse un peu à nous en fait parce que bon, elle a quand même pris peine à me dire des chemins à suivre, voilà, sinon j'sais pas ce que je pourrais vous en dire d'autre>>.’

à la différence de ce qui s'est passé pour Latifa, Christine, Béatrice, Cendra, Agnès, Nagette, Sandra, Estelle, Annie, Mériem, Fahra, Johan, Said et Paulo, la Mission Locale n'aura pas représenté une rencontre significative dans le parcours de Nadine. Appréciée pour la qualité d'écoute, la Mission Locale ne sera pas parvenue à se constituer comme interlocuteur privilégié dans son parcours d'insertion professionnelle. Comme Latifa, Nagette et Said, Nadine aurait souhaité un accompagnement, davantage que des conseils.

Cette "prise en charge" revendiquée s'inscrit dans la logique d'un parcours universitaire vécu sur un mode trop peu directif qui viendra justifier "l'échec" relatif de ce parcours universitaire. "échec" relatif qui s'inscrit dans un parcours scolaire et post-scolaire marqué par des successions d'échecs.

La Mission Locale se révélera peu à peu un lieu de reproduction de conduites d'échecs éprouvées de longues dates ; ce qui pourra expliquer sa prise de distance rapide avec une structure qui n'aura pas pu lui épargner de nouvelles désillusions. ‘<<Elle m'avait dirigée un peu vers l'AFPA, c'était pas pour la photo vraiment, c'était pour l'audiovisuel, carrément du cinéma, mais bon, ce qui est embêtant dans ce genre de filière c'est que, c'est un peu une formation sur le tas, si y faut passer par des formations, ils font passer des tests et puis bon moi j'trouve que les tests c'est bien mais ça mesure pas l'envie que quelqu'un peut avoir de faire quelque chose et moi j'avais queuté mon test à l'AFPA, j'avais, j'veux pas dire sur des bêtises, mais sur des choses qui me paraissaient pas essentielles par rapport à ce que j'avais envie de faire, et puis bon se sentir éliminée pour des trucs qu'on trouve mineurs par rapport à la chose qu'on veut faire, c'est carrément, bon pas carrément, mais c'est un peu décourageant en fait, et c'est vrai que bon ben j'avais un peu laissé tomber parce que je trouvais que c'était pas, la passion que j'avais de ce truc c'était pas compatible avec les, pas les professionnels, mais avec les écoles, les formations>>,’ Nadine sera la seule jeune parmi les trente rencontrés à évoquer la <<passion>> qui l'anime pour une activité. Contrairement à la majorité de ces jeunes qui construisent leur parcours d'insertion professionnelle au gré du hasard de rencontres et d'opportunités et fixent un "plaisir" non défini comme condition à leur maintien dans une activité, Nadine met en mots sur un registre catégoriel quelque peu différent - celui de la <<passion>> - le ressort de son parcours d'insertion.

Il ne s'agit pas pour elle de trouver "n'importe quel boulot" qui pourra se révéler suffisamment "plaisant" pour qu'elle y reste, mais de pouvoir exercer sa passion du regard, qu'il s'agisse de la photo ou du cinéma, quelques soient les moyens nécessaires. Après avoir tenté de s'insérer dans le milieu des photographes par le biais de contrats en alternance, elle tentera de se professionnaliser dans le milieu du cinéma par le biais d'une formation professionnelle dispensée par l'AFPA. De refus en échecs, Nadine va tenter de construire son parcours d'insertion dans une logique de mise à distance de cette passion de toute part niée.

Elle va en conséquence construire son parcours en tentant d'adapter sa <<passion>> au cadre le plus symboliquement "dépassionné" que représente celui de la fonction publique : ‘<<C'est pas que je désespère pas, mais c'est vrai que là, j'y suis pas ad vitam eternam, et puis bon j'ai passé un concours administratif, mais bon j'pense que j'vais me lancer dans un concours à caractère culturel, parce que le culturel c'est ce qui me tient un peu à coeur, c'est pas que j'en ai fait un peu le tour de mon poste, j'pense que ça peut évoluer mais c'est vrai que j'suis jeune, je pense que j'changerai un peu d'horizons et que moi le culturel ça m'intéresse, et travailler dans une bibliothèque et dans un service encore plus culturel, enfin, moi ça m'intéresserait>>.’ Si l'administration a pu représenter une option "par défaut" face à un enchaînement de mises en échecs, sa passion pour le domaine artistico-culturel va à nouveau occuper le devant de la scène, et être objet d'une réappropriation dans le cadre formalisé du <<concours à caractère culturel>> organisé par la fonction publique.

Nadine va poursuivre son parcours d'insertion animée d'une logique de "travail-passion" que n'importe quel cadre professionnel, jusqu'au plus "dépassionné" que représente celui de la fonction publique, pourra concrétiser.