4.1.3.3.1. SERVICE COMMUNICATION

Je relancerai Nadine, à ce moment de l'entretien, sur ce qui présente le plus d'intérêt dans son activité professionnelle : ‘<<Ce qui est le plus intéressant c'est les relations avec les gens qui viennent nous demander des renseignements sur, sur n'importe quoi en fait, donc ça fait plaisir de pouvoir les renseigner, de trouver, de chercher quelque chose pour eux, c'est surtout ça je crois en fait, moi qui suis en fait d'une nature plutôt timide, je crois que c'est le poste qui m'a fait un peu du bien, c'est vrai que ça a toujours été mon point faible, et c'est vrai que là, quand on m'a proposé ce poste en fonction de mes études quoi, alors en fait j'étais pas très, pas hyper qualifiée et c'est vrai que ça a fait du bien à mon caractère un peu et bon c'est vrai que le contact avec les gens c'est assez sympa, bon y a des efforts à faire aussi d'un autre côté parce que, parce que j'ai du mal par exemple quand on fait des reportages vidéo, photo, c'est vrai que j'ai du mal à aller près des gens mais c'est aussi quelque chose qui est venu petit à petit>>.’ L'intérêt professionnel est explicitement posé en termes de dépassement personnel, autrement dit d'épanouissement. C'est parce que le poste occupé lui a permis de dépasser un "handicap" personnel qu'il se construit aujourd'hui comme <<intéressant>>. L'insertion dans le milieu professionnel aura permis à Nadine, comme à Annie et Sandrine B, de développer des capacités relationnelles qui faisaient jusqu'alors défaut.

La timidité à laquelle fait référence Nadine est un trait de <<caractère>> qui s'est peu à peu constitué comme "handicap" dans une société dominée par le règne "communicationnel". La dimension "relationnelle" qui caractérise son poste de travail est une dimension qui s'est construite au cours des dix dernières années comme critère fondamental, au même titre que le diplôme, dans les processus de recrutement. Il ne suffit pas de se prévaloir d'une compétence professionnelle certifiée, il faut également désormais attester de compétences "relationnelles" devenues indispensables dans les nouveaux procès de travail, qui mettent en jeu les capacités communicationnelles des équipes de travail.

Ainsi, la dimension explicative des échecs successifs de Nadine dans le secteur de la communication et de l'audiovisuel se dessine peu à peu à travers un trait de <<caractère>>, autrement dit, sociologiquement parlant, à travers un processus de socialisation incompatible avec les prérequis d'une formation qui exigent d'autant plus de compétences relationnelles qu'elle en a fait une spécialité.

Nadine, comme Christine, Béatrice, Agnès, Sandrine B, Sofia et Sonia, n'est pas une jeune femme qui se caractérise par un contact facile. Plutôt renfermées, <<timide>> dira Nadine, elles présentent toutes des modalités relationnelles qui se sont construites comme problématiques dans la société française de ces dix dernières années, car en opposition avec le modèle devenu dominant de l'individu "entreprenant" et "communiquant".

Dans une société entièrement dominée par le champ professionnel, les valeurs de "l'efficience" et de la "communication" qui se sont imposées comme valeurs piliers de l'économie capitaliste de cette fin de siècle, stigmatisent comme "inadaptés" tous les individus qui <<trop timides>> n'auront pas été socialisés aux normes sociales de la communication. Le secteur public peut alors représenter à ce titre un espace encore quelque peu préservé qui permet à certaines catégories de personnes de s'insérer sur un marché du travail partiellement "protégé" des valeurs dominantes sur le marché privé.