4.1.3.3.2. LE TEMPS PROFESSIONNEL

Nadine va illustrer les contradictions inhérentes à un poste de travail qui relève davantage des modalités de fonctionnement du secteur privé que de celles du secteur public : ‘<<Quand on est comme ça, fonctionnaire et en même temps dans la communication, c'est pas évident parce que en tant que fonctionnaire on a un statut bien spécifique avec des horaires à faire, des heures à respecter plus ou moins, et d'un autre côté un service qui demande d'être là pas à n'importe quel moment, mais qui demanderait d'être là les week-ends, qui demanderait d'être là après dix-huit heures, etc, donc c'est pas facile, parce que les élus sont pas complètement pour qu'on travaille le samedi, parce que après tout on travaille pas pour rien, et que bon ça demande un peu de, pas de sacrifice mais enfin, un petit quelque chose de la part de la personne qui le fait, et que bon avec ce statut d'horaires à respecter, d'heures sup qui ne sont pas payées etc, donc en fait c'est pas très facile de gérer les deux>>.’ La dimension temporelle se construit comme dimension problématique. Nadine dénonce un cadre de travail qui impose un rythme trop rigide qui s'adapte mal aux spécificités de son poste qui demanderait souplesse et disponibilité.

Le secteur public et le secteur privé s'opposent une fois encore sur un rapport temporel qui reste marqué par la régularité d'un rythme de travail qui a constitué l'emblème du "métro-boulot-dodo" pour le premier, et se caractérise de plus en plus par la flexibilité et la disponibilité pour le deuxième. Il s'agit donc de mettre en évidence l'existence de deux rapports au temps qui structurent les espaces professionnels, privé et public, de façon quelque peu différente.

On voit peu à peu comment s'élabore la construction socialement dominante du sens du travail : dans la tension de systèmes de valeurs propres aux secteurs public et privé. Le travail se pense ainsi dans la contradiction de catégories qui sont valorisées d'un côté, dévalorisées de l'autre.

La "stabilité" professionnelle, valorisée dans le secteur public, est synonyme d'"immobilisme" dans le secteur privé. Les salariés sont alors tout autant en quête d'une "stabilité" d'emploi qui leur permettra d'échapper à la stigmatisation des emplois "précaires", qu'en quête de "mobilité" professionnelle comme condition nécessaire aux adaptations permanentes aux nouveaux modes de production, et à la promotion sociale. Ainsi, selon les référentiels dominants dans chaque entreprise, un individu ayant cumulé de multiples expériences professionnelles pourra tout aussi bien être stigmatisé d'"instable", que valorisé comme individu "adaptable".

De la même façon, le "rythme" professionnel dominant diffère d'un secteur à l'autre. "Régulier", dans le secteur public, le rythme tend toujours plus vers l'"irrégularité" dans le secteur privé. Au temps "administratif" s'oppose la flexibilisation et l'annualisation du temps du travail. à la routine d'une régularité infaillible s'oppose l'aléatoire d'un rythme de travail qui se caractérise par toujours moins de rythme.

Ces tendances qui opposent des catégories temporelles propres à chacun des secteurs, constituent ainsi un horizon de possibles qui définit le sens du travail pour tout un chacun. En s'opposant, les catégories temporelles des secteurs public et privé tendent à brouiller les frontières de définition du travail légitime et cela oblige les individus à reconstruire des catégories signifiantes dans un horizon marqué par la contradiction.