4.1.3.4.2. LE TEMPS DU TRAVAIL

‘<<J'y réfléchi à deux fois avant de m'y engager complètement parce que c'est vrai que si ça devient vraiment quotidien, un peu harassant quoi, ...donc là par exemple c'est quelque chose, la photo, que je fais deux fois par semaine, bon on y va, en même temps c'est bien parce qu'y a une contrainte, donc on se force, enfin on se force pas, mais on se tient à faire quelque chose et en même temps c'est pas tous les jours, donc on prend du plaisir à le faire, alors que si ça se produisait dans le boulot, dire, tous les matins faut que j'aille faire des photos à tel endroit, faire des prises de vues à tel endroit, ça m'embêterait vite en fait>>’ ; Nadine tente de se protéger du fléau que constitue la routine quotidienne. Dès lors, se professionnaliser dans le secteur de l'audiovisuel c'est courir le risque d'une routinisation qui est la mort certaine de cette <<passion>> qu'il faut pouvoir garder intacte.

Le travail s'oppose à la passion, moins parce qu'il représente une contrainte alimentaire, que parce qu'il s'inscrit dans un rythme contraint par la régularité d'une activité qui se doit d'être quotidienne, et quotidiennement identique.

La catégorie temporelle vient se constituer, une fois encore, comme catégorie problématique. Il s'agit cette fois de l'impossibilité à faire s'accorder travail et passion. Cette catégorie temporelle va se construire chez Nadine comme catégorie justificative d'une impossibilité à construire une "identité pour autrui" de professionnelle en accord avec son "identité pour soi" "d'artiste", car le temps de "l'artiste" ne pourrait s'adapter au temps contraint de "l'artisan" ou du "professionnel".

Il ne s'agit pas de savoir si cette représentation du travail artistique correspond à une "réalité" ou à un mythe. Il s'agit plutôt de prendre acte du système de valeurs de Nadine qui oppose le temps de l'artiste et le temps de l'artisan pour justifier une impossibilité à concilier travail et passion.

C'est dans une logique similaire qu'elle vient nous dire sa difficulté, identifiée comme un manque de qualification, à s'adapter à un temps professionnel qui la stigmatise comme "non-performante" : ‘<<J'ai toujours un peu d'appréhension par rapport à peut-être, par rapport à une autre personne c'est le fait, pas d'être compétitive, mais d'être performante dans mon travail quoi, c'est vrai que j'ai l'impression de pas avoir vraiment de formation carrée, c'est-à-dire bon, par exemple mon collègue il est très fort donc en mise en page, donc en PAO, je me sens pas capable de le remplacer parce que justement j'ai pas la formation, et je veux dire je suis pas pointue dans un travail précis quoi>>’. Le manque de formation professionnelle se construit dans le discours de Nadine comme l'élément explicatif d'un défaut de performance professionnelle.

La formation professionnelle, pensée comme rationalisation maximale du temps du travail consacré à une activité, s'inscrit parfaitement dans la logique de rentabilité qui caractérise l'économie capitaliste. La formation professionnelle constitue donc non seulement le moyen pour accéder à une identité professionnelle, caractérisée par un processus de reconnaissance réciproque, mais surtout le moyen pour entrer dans le temps professionnel socialement légitime de la rentabilité. Ne pas être "professionnel" c'est en conséquence "perdre du temps", ce précieux temps qui s'est constitué socialement comme l'étalon de toute réussite.