4.1.3.4.3. TEMPS PRIVE, TEMPS PUBLIC

Si la professionnalité attestée par une qualification professionnelle reconnue s'est constituée comme référence de la performance, et donc de la réussite professionnelle dans le secteur privé, les critères de la réussite ne se sont pas construits de la même façon dans le secteur public. ‘<<C'est vrai que ce qui compte un peu dans l'administration bon c'est le fait déjà d'avoir un peu de l'ambition, de prendre aussi du grade, d'avoir de l'ancienneté et de pouvoir passer au grade supérieur, bon moi ce qui me plairait c'est de monter un peu dans la hiérarchie fonctionnaire et puis deuxièmement ce qui compte c'est la paye (rires) et puis troisièmement d'avoir, d'être dans la bonne activité quoi je veux dire, quoi c'est vrai l'administratif quand je vois mes collègues c'est pas qu'ils me gonflent un peu, mais je trouve qu'ils sont pas, je vois par exemple, si j'avais un poste à choisir en mairie, à part le mien, c'est vrai que on se pose des questions (rires)>>’ ; le processus de reconnaissance professionnelle qui prévaut dans la fonction publique est lié à un système spécifique de gratifications qui s'appuie sur un rapport au temps différent de celui qui prédomine dans le secteur privé. Il ne s'agit pas de valoriser des compétences professionnelles en termes de performance, mais en termes de temps dévolu au service public.

Nadine va donc substituer les critères de <<l'ancienneté>> comme critères légitimes de reconnaissance professionnelle dans la fonction publique, aux critères de la <<performance>> qui ne constituent pas des critères d'appréciation pertinents dans le fonctionnement du secteur public.

C'est ce qui permet de comprendre qu'elle place en première position le critère du <<grade>>, comme critère de reconnaissance professionnelle supérieur à celui de l'activité exercée, car l'enjeu de son insertion professionnelle passe par une reconnaissance professionnelle qui se décline en termes de <<grade>> dans l'administration, et non de "professionnalité" comme c'est le cas dans le secteur privé.

Son identité professionnelle ne se construira pas sur des catégories de "métiers", mais sur des catégories de "positions", catégories légitimes et signifiantes dans la hiérarchie administrative, qui lui permettront de mettre à distance une identité de "métier" problématique.

On voit très bien ici comment s'élabore progressivement un processus de socialisation à un univers professionnel, celui de la fonction publique, qui impose à Nadine de reconstruire les catégories légitimes de reconnaissance qui seront le ressort de la construction du processus d'identification. Il lui faut alors substituer les catégories du "grade", et de la "position", signifiantes dans le cadre de l'administration, aux catégories de la "professionnalité" et du "métier", signifiantes dans le secteur privé dans lequel elle a été socialisée par son milieu familial.

Nadine poursuit son récit en nous dévoilant un peu plus son système de valeurs : ‘<<C'est peut-être parce que je rêve trop, en fait le boulot c'est avant tout une contrainte, pour tout le monde, bon tous les matins faut aller au boulot, y a des jours on n'a pas envie d'y aller, c'est vrai que ça c'est mon côté un peu, moi comme je dis des fois je gagne au loto et puis voilà, je vais voir mes collègues je vais leur dire "vous m'avez bien vu regardez-moi bien, salut" (rires), je viendrais leur dire au revoir quand même mais ouais je sais pas ça dépend du gain (rires) si c'est pas grand chose je continuerais à travailler malgré tout mais si c'est une grosse somme je laisserais un chômeur prendre mon travail et j'irais mener la belle vie sous les tropiques (rires)>>’. Le travail se confirme être une contrainte temporelle - ‘<<tous les matins faut aller au boulot>’>, bien davantage qu'une contrainte de l'activité de travail. Son travail l'intéresse, car elle nous l'a expliqué, il lui a permis de dépasser une timidité stigmatisante. Pour autant, à l'instar de Sandrine B et d'Annie, elle lui substituerait volontiers une vie de rentière.