4.1.3.6.2. PASSIFS CONTRE ACTIFS

L'adaptation au monde professionnel passe également par un rapport d'engagement qui diffère sensiblement de l'expérience scolaire, telle que l'a vécue Nadine : ‘<<La vie active, c'est vrai que c'est beaucoup plus, faut faire son trou, à l'école c'est pas, c'est pas aussi, on est là un peu en spectateur à l'école, je dirais pas en touriste mais bon après tout c'est, à la personne de voir si elle veut bosser, si elle veut faire, alors que dans le boulot c'est pas la même chose quoi, faut s'intégrer le plus possible quoi, non, moi je trouve que y a un grand fossé quoi, et puis ben bien sûr on est dépendant de la hiérarchie, les chefs, alors que bon à l'école, après tout, le prof dit telle chose on en tient compte, on n'en tient pas compte, on s'en fout, quoi>>’. Le temps scolaire a été vécu par Nadine comme un temps contraint, mais par rapport auquel il était possible de prendre ses distances par un moindre investissement, voire un total désinvestissement.

Ce rapport potentiellement "passif" au monde scolaire aura contribué à construire un système de conduites marqué par le non-engagement et la prise de distance. Or ces attitudes "distanciées" s'accordent mal au cadre professionnel qui exige un engagement des salariés d'autant plus important que les postes occupés sont chargés de responsabilités.

Ce rapport "passif" à la scolarité peut se comprendre comme ce que Marilena CHAUI246, philosophe brésilienne, analyse en termes de "résistance" caractéristique des classes populaires, pour expliquer de nombreuses pratiques de résistances à l'imposition de catégories dominantes qui n'ont pas de sens pour les classes populaires.

Mais cette opposition entre "actif" et "passif" s'est également construite comme socialement signifiante pour penser d'un côté l'ensemble des individus engagés dans le procès de "travail", et de l'autre, tous ceux, scolaires, étudiants, femmes aux foyers, retraités, ...qui s'en trouvaient momentanément ou définitivement exclus. Il ne s'agit plus alors de penser la catégorie du "passif" comme pratique de résistance à l'imposition de modèles dominants non signifiants, mais de penser des processus symboliques d'exclusion, temporaires ou non, par rapport aux modèles dominants.

Pour les classes populaires, l'espace scolaire est donc potentiellement un lieu doublement marqué par la symbolique de la passivité. Espace d'imposition des normes dominantes, l'école peut générer des pratiques de mise à distance de ces valeurs dominantes. Espace symboliquement mis à l'écart du proces productif, l'école participe à la construction d'identités de jeunes "scolaires" - donc "non travailleurs" - autrement dit de jeunes "inactifs".

La catégorie sociale des demandeurs d'emploi constitue à ce titre une catégorie ambiguë puisqu'elle est catégorisée comme relevant des "actifs sans emploi", mais qu'elle ne participe pas temporairement au procès de "travail". Il en est de même de l'ensemble des individus qui sont en "activité" dans le cadre de contrats "précaires" et qui pour certains d'entre eux sont "stagiaires" de la formation professionnelle, sans contact direct avec le marché du travail.

Les dispositifs d'aide à l'insertion sociale et professionnelle des personnes sans emploi ont contribué à brouiller les frontières entre l'emploi et la formation, et il est bien difficile aujourd'hui de distinguer les "actifs" des "passifs", si ce n'est par des processus de catégorisation officiels qui ne s'accordent pas, ou plus, nécessairement avec la réalité. Si les "stagiaires" de la formation professionnelle sont considérés comme "actifs", on peut alors se demander pourquoi les "étudiants" et les "scolaires" ne pourraient pas également intégrer cette catégorie, dans la mesure où leur formation constitue, de la même façon que pour les "stagiaires", un investissement pour leur future insertion professionnelle.

Notes
246.

1986