4.2.1.1.1. L'ORIENTATION

La façon dont Makram conçoit son orientation professionnelle peut nous éclairer. ‘<<J'y suis allé pour lui demander des renseignements sur les formations professionnelles, mais j'pense qu'y a pas un suivi qui est important, plus de détails sur les formations qu'on peut faire, avoir des informations sur d'éventuelles nouvelles branches, un centre de documentation, savoir éventuellement si y a des nouveaux diplômes qui se passent, des nouveaux métiers qui vont, parce qu'y a des métiers qui vont cesser puis y a de nouveaux métiers qui vont arriver et l'essentiel c'est se diriger vers de nouveaux métiers>>’ ; la Mission Locale est appréhendée comme un <<centre de documentation>> devant aider les jeunes à se repérer face aux changements en cours dans les métiers et professions, car pour lui l'orientation professionnelle est avant tout une affaire d'adaptation aux mutations, plus que de recherche de ses centres d'intérêts propres. Il s'agit d'opter pour le parcours qualifiant qui lui permettra de se professionnaliser dans un métier porteur d'avenir.

Il aborde là un problème fondamental relatif à la structuration même du dispositif d'insertion. "éclaté" entre plusieurs entités, le dispositif s'est construit sur un existant pluriel auquel se sont ajoutées des structures nouvelles. Ainsi, aux Centres d'Informations et d'Orientations des établissements scolaires, aux Centres Régionaux d'Informations pour la Jeunesse, à l'ANPE, aux centres de formation publics tels que l'AFPA, aux services des assistantes sociales, au travail des éducateurs,....sont venus se greffer à partir de 1982 les Missions Locales et dans leur sillage, l'éclosion d'une multitude de centres de formation privés, subventionnés par l'état, puis à partir de 1996, par les Régions. Toutes ces structures mobilisent des compétences professionnelles qui se croisent, se chevauchent, s'entremêlent et contribuent au flou dans lequel les jeunes naviguent pour tenter d'y construire quelques repères. Latifa et Makram nous en offrent un brillant témoignage.

Ainsi, Makram attendra de la Mission Locale qu'elle soit en mesure de lui fournir les mêmes informations qu'un centre de documentation, autrement dit, on peut l'imaginer, que le CRIJ ou un CIO. Or, s'il revient à la Mission Locale de pouvoir offrir ce type de "prestations", le manque de moyens empêche la plupart des Missions Locales de disposer d'une documentation mise à jour, telle que celle dont dispose un CIO ou un CRIJ. "L'offre de formation" se construit alors bien davantage en relation quasi exclusive avec les offres de stages conventionnés des centres de formation habilités à fournir des prestations dans le cadre du dispositif CFI (Crédit Formation Individualisé, mis en place en 1989) qu'avec l'ensemble des formations nationalement disponibles. Car l'enjeu, est un enjeu de coût, de limitation de coût, et il convient donc de limiter l'offre de formation à ce qui a été négocié et budgeté entre les différents copartenaires des dispositifs d'insertion.

C'est pourquoi à travers des enjeux croisés de légitimité, de concurrence et de compétences professionnelles, les conseillers des Missions Locales préféreront souvent traiter la question de l'orientation professionnelle par le biais des outils qui leur sont propres (documentation propre, outils pédagogiques propres, centres de bilan conventionnés par le dispositif), plutôt que d'avoir recours à des structures "concurrentes", ou disqualifiées telles que les CIO ou CRIJ. Structures disqualifiées comme les CIO car si les jeunes sont sortis du système scolaire sans qualification, ou en échec scolaire, c'est en partie, pense-t-on du côté des professionnels de l'insertion, de la responsabilité des CIO, ou du moins de l'institution scolaire dans son ensemble.

Ces enjeux budgétaires, de pouvoirs, et de compétences, qui dépassent à proprement parler les jeunes qui fréquentent ces dispositifs, leur sont bien souvent préjudiciables et concourent de nouveau à une disqualification du dispositif.