4.2.1.2. DU BOULOT AU MÉTIER

Je reprendrai la conduite de l'entretien peu après par une relance au sujet de ses expériences professionnelles ‘: <<Je les ai bien vécues, dans tous les domaines, aussi bien l'animation que quand j'ai bossé à la Mairie ou dans la sécurité, je pense que pour un jeune c'est important de travailler parce que c'est un revenu à la fin du mois et on est autonome et on peut s'assumer tout seul quoi et puis aider ses parents c'est j'sais pas, on trouve quelque chose d'autre dans le boulot>>,’ le travail, tel qu'il est pensé pour référer aux "petits boulots" réalisés, est explicitement posé comme activité source de revenu et d'autonomie. Si, par extrapolation, le revenu est la condition de l'autonomie, cette relation causale n'en est pas moins polysémique. L'autonomie est en effet davantage à entendre comme autonomie au sein de la famille, autonomie qui permet de contribuer à l'économie familiale parentale - ‘<<on peut s'assumer tout seul quoi et puis aider ses parents>’> - que comme une autonomie de prise d'indépendance du jeune par rapport au foyer parental.

Opérer cette distinction est fondamental, pour ne pas confondre indépendance et autonomie et déduire l'une de l'autre. Autrement dit, pour ne pas constituer l'accès à l'emploi comme condition d'une indépendance qui n'est pas nécessairement l'objectif de tous les jeunes, comme nous l'avons vu auparavant avec Nadine. Car, si une certaine culture dominante française privilégie l'accès à l'indépendance juvénile, pré-maritale, des garçons comme des filles, ce modèle d'insertion sociale ne constitue en aucune manière un modèle positif vers lequel tendent les différents milieux sociaux et les différentes cultures qui se côtoient en France, notamment la culture maghrébine.

Par ailleurs, comme Christine qui a exercé des "petits boulots", et comme la totalité des jeunes enquêtés qui ont fait l'expérience de la précarité professionnelle, Makram traduit ces expériences professionnelles dans les termes de "l'activité", du "lieu", mais ne peut construire un processus d'identification professionnelle qui l'amènerait à se présenter comme "animateur", ou "agent de sécurité".

Comme Nadine, et à l'image de Béatrice, Cendra, Nagette, Paulo, Cyril et Said, Makram mobilise la catégorie <<jeune>> pour nommer le référentiel identitaire dans lequel il se construit. Ce n'est donc pas une identité "d'homme" ou de "maghrébin" qu'il construit comme signifiante dans son parcours d'insertion professionnelle, mais une identité de "jeune", se réappropriant ainsi les catégories officielles de catégorisation de la sous-population dont il se constitue comme membre.