4.2.1.2.3. L'INSTABILITE COMME CONDITION DU "PLAISIR"

Le changement est donc non seulement conçu comme possible, mais surtout comme nécessaire, non pas par "infidélité" à un métier auquel il se sera consacré mais dans le souci de toujours faire mieux, pour obtenir plus. ‘<<Je me lasse très vite c'est pas que je suis instable c'est que je me lasse très vite, si on fait tout le temps la même chose on on va pas vous confier des responsabilités ben on se sent inutile et puis on a envie de rien faire...ça fait qu'après on va au boulot et puis heu on n'y met pas le coeur quoi, il faut aimer ce qu'on fait j'pense, autrement quelque part ben on sera, on n'est pas bien...j'préfère gagner 6.000 Frs et me plaire dans ce que je fais que gagner 12.000 Frs et pas me plaire, autrement ça sert à rien si je rentre tous les soirs chez moi et puis j'suis bouffé j'ai envie de rien faire, si le matin j'me lève j'vais au boulot à la dégoûtée ça sert à rien>>’ . Le changement est donc la condition nécessaire, tout à la fois, à l'intérêt que l'on porte à son travail, et au regard que les autres portent sur votre travail, intérêt évalué par la reconnaissance et, par suite, par les responsabilités accordées, qui conditionneront par retour l'intérêt porté au travail..., ressort sans fin qui constitue la dynamique d'un emploi, d'un "métier", qui plaira suffisamment pour accepter, le cas échéant, la contrepartie d'une moindre rémunération.

Makram, comme Sylvain, Cendra, Annie, Paulo, Xavier B, Vincent, Cyril et Sami, mais à la différence de Latifa, Christine, Nadine, Sophie, Chantal, Sonia et Sandrine B conçoit son travail comme devant lui plaire. Un <<travail qui plaise>> est une condition qui, au pire, devra se payer par une plus faible rémunération. Travailler n'est pas pensé dans une seule perspective de nécessité alimentaire. Le travail "gagne-pain" a déjà été expérimenté, il faut désormais passer à une activité qui permettra d'échapper au "boulot", et qui lui assurera la reconnaissance de son utilité par l'octroi de responsabilités.

Comme Christine avant lui, Makram fait appel à la catégorie de "l'utilité". Mais à quoi renvoie-t-elle chez lui ? Chez Christine, la catégorie de "l'utilité" renvoie de façon complexe, tout autant à la nécessité dans laquelle elle se pense de trouver des "activités" qui lui seront "utiles" pour sortir de la précarité, qu'à l'envie de se "rendre utile" pour autrui. Chez Makram, la catégorie de "l'utilité" renvoie à la catégorie de la reconnaissance par autrui. C'est par la négative qu'il mobilise la catégorie de "l'utilité" - <<on se sent inutile>> - lorsqu'il est fait référence à un "boulot" dans lequel il ne lui sera pas confié de responsabilités, et en conséquence dans lequel il n'aura pas envie de s'investir. "L'utilité" est donc liée à la catégorie du "plaire", puisqu'il s'agit, par la reconnaissance que représentent les responsabilités accordées, d'avoir suffisamment "plu", et dans le même mouvement de permettre ainsi que l'emploi occupé "plaise" puisque justement il est reconnu. C'est une double transaction, une reconnaissance réciproque au sein de laquelle se joue la reconnaissance de soi comme condition d'exercice de l'emploi.

On voit combien il est nécessaire de contextualiser une énonciation dans l'enchaînement d'un discours, et combien alors peut-être la catégorie de "l'utilité" nous révélera d'autres choses tout au long du parcours discursif de Makram.

Enfin, <<l'embauche>> telle que la pense Makram n'est pas appréhendée dans les termes de la "stabilité". Les catégories qui visent traditionnellement à construire la "précarité" comme forme "temporaire" d'emploi, par opposition à la "stabilité" du contrat à durée indéterminée, sont ici bien incapables de rendre compte de cet apparent paradoxe. Pourtant, le paradoxe se résout dès lors que l'on est en mesure de comprendre que ce n'est pas le caractère "temporaire" des formes d'emploi qui les constitue comme "problématiques" pour Makram, mais le caractère "contraint" de la temporalité, qu'elle soit déterminée ou indéterminée.