4.2.1.2.5. ETRE RESPONSABLE

A ce titre, le secteur de l'animation a constitué pour Makram, comme pour Said, un espace de réalisation personnelle très positif : ‘<<Dans l'animation j'ai bien aimé parce que ça m'a apporté beaucoup de choses, ça m'a rendu responsable, et tout ce qui s'ensuit, et c'est bien parce que on fait que progresser alors que dans certains boulots on fait que régresser, c'est vrai c'est pour ça, parce que on a rien on est là on est un pion quoi, style, voilà on me demande de tondre le gazon, on tond le gazon, on va faire ça toute la journée, on va rentrer chez soi on va faire à la limite ses loisirs, ben moi j'pense qu'on n'a pas l'impression de vivre (...) faut s'y plaire dans ce qu'on fait j'pense autrement à la limite faut pas le faire quoi pour que ça si on est bouffé de l'intérieur c'est pas la peine>>.’ Le secteur de l'animation, est souvent décrié par les professionnels, car constituant à leurs yeux comme aux yeux de beaucoup d'autres, un secteur mythifié, car souvent unique espace professionnel identifié par les jeunes, où "l'animateur" constitue un des rares "professionnels" dont l'activité soit concrètement identifiable. Éclairé à la lumière des propos de Makram, le secteur de l'animation pourrait être ainsi appréhendé dans une autre perspective. Moins secteur de la "planque" - "boulot tranquille" et valorisant, à l'opposé de l'image du "professionnel" besogneux et stigmatisé, généralement du bâtiment, que renvoie l'image du père - , qu'espace de travail privilégié pour donner un sens, celui de la responsabilité professionnelle, à une activité. Activité professionnelle qui dans beaucoup d'autres secteurs, accessibles pour des jeunes peu ou pas qualifiés, se résumera au "gagne-pain", voire pire à une "destruction intérieure", car pensée uniquement comme "exécution", et non comme "création".

Ce que Makram refuse est cette assignation déshumanisée à la tâche qui fait de l'individu un <<pion>>, un individu sans individualité, interchangeable comme n'importe quelle marchandise. Les <<responsabilités>> professionnelles représentent alors la personnalisation de relations professionnelles, vécues sans cela sur le mode de l'indifférenciation.

Il se pourrait alors que la "crise" que nous traversons soit aussi une crise du désir, du désir de travailler, et non de la volonté. Confondre désir et volonté serait tomber dans l'erreur de croire que la "motivation" se réduit à une question de volonté, alors qu'est également en jeu le désir. Réduit à sa plus minime expression, au cours d'un processus historique qui a vu se développer une logique capitaliste quasi hégémonique, le travail n'est plus que "production", "exécution". La période des Trente Glorieuses a porté cette logique, en instituant, comme contrepartie à un travail vidé de son sens, un complexe de croyances en une modernité prometteuse et rédemptrice. On pouvait croire alors qu'un "boulot" nous garantirait l'accès à la propriété privée, à la capitalisation, à l'ascension sociale, à toujours plus d'égalité, de justice et de fraternité. Le rêve s'est progressivement interrompu. Il ne reste du "boulot" que le "boulot", autrement dit une activité dont il faut reconstruire le sens que l'idéal moderniste avait cru pouvoir transcender.

Le XIXème siècle, par une subtile alchimie des pensées libérale, chrétienne et socialiste avait érigé le travail au rang de nécessité salvatrice. Moyen pour lutter contre l'oisiveté, moyen de transformer la contrainte en vocation, ou moteur du progrès, le travail se construit comme "l'essence de la condition humaine".

Mais dès lors que la pensée chrétienne va commencer à perdre de son pouvoir, que le mythe du progrès qui avait fondé la pensée socialiste va perdre de sa pertinence, la pensée libérale va tenter de se réapproprier le monopole du sens du travail en faisant de celui-ci une "nécessité" dont on ne sait pas trop ce qu'elle recouvre. Combien de jeunes rencontrés me diront qu'il <<faut travailler>>, qu'il faut faire <<le travail qu'il faut>>, que <<c'est la société qui veut ça>>, que le travail est <<indispensable à l'équilibre>>, sans qu'il me soit pour autant donné de comprendre ce que recouvre cette "nécessité" quasi ontologique.