4.2.1.3.1. SOCIALISATION FAMILIALE

Je profiterai de cette référence à l'environnement familial, pour le relancer sur les activités des frères et soeurs, et des parents : ‘<<Alors j'ai mon frère qui est vendeur à Lapeyre, j'ai ma grande soeur qui est à Grenoble qui a fait un DUT animation et là qui est en Fac en licence, (...), j'ai deux grandes soeurs qui sont mariées, une grande qui habite à Paris et qui travaille dans l'administration et une grande soeur qui est à Vénissieux et qui travaille aussi, (...), ma mère elle travaille et mon père il est décédé y a quatre ans (relance), il travaillait dans l'armée il était fonctionnaire, ma mère elle travaille à la raffinerie elle fait partie du personnel de service>>.’ On voit combien l'environnement familial est présenté dans des termes totalement différents de ceux de Christine. Il ne s'agit pas de masquer les activités professionnelles des membres de la famille par des descriptions floues. Au contraire, le cadre de travail est décrit avec une relative précision ainsi que les postes de travail occupés, voire les métiers exercés <<vendeur>>, et il en faut peu pour que le métier de la mère "agent de service", activité des plus dévalorisée socialement, soit également dénommée dans les termes du métier, mais il préférera fixer son appartenance professionnelle au groupe du <<personnel de service>>.

On note toutefois une opposition descriptive entre les emplois occupés par une des grandes soeurs et par le père, emplois du secteur public, nommés par l'indétermination des fonctions, et par le seul référent au corps administratif, et les emplois occupés dans le secteur privé par le frère et la mère, décrit très précisément par le lieu d'exercice et le référentiel de métier. Cette opposition est probablement davantage à lire comme conséquence d'une méconnaissance généralisée des "emplois" de la fonction publique, qui dépasse le seul cas de Makram, que comme volonté d'occulter des emplois dévalorisés dans la hiérarchie de l'administration même si cela peut être le cas. On peut formuler cette hypothèse dans la mesure où l'emploi de la mère, potentiellement le plus stigmatisé dans la hiérarchie socioprofessionnelle, ne fait pas l'objet d'un processus d'occultation.

Les cadres professionnels familiaux font ainsi l'objet d'une appropriation positive, ce qui lui permet sans doute de se projeter lui-même dans un horizon professionnel marqué par le désir, le plaisir, et l'envie de réussir ses projets. Si l'exemple de Christine illustrait un mouvement de déclassement social, vécu sur le mode de la dépossession, le cas de Makram exemplifie, à l'inverse, un processus d'ascension sociale dont une des soeurs, titulaire d'un DUT et inscrite en licence, vient faire la preuve, s'il en était besoin.

Relancé pour préciser avec lui comment se vivent ces différentes expériences professionnelles dans la famille, la réponse viendra toutefois ternir un paysage qui semblait décrit avec lumière : ‘<<Mais ce qui se passe c'est que en fin de compte les professions elles changent, moi j'pense qu'on s'adapte, on a un projet bien précis mais si on trouve pas du boulot dans c'te branche et on essaie de travailler ben on prendra ce qui y a quoi, on va pas jouer le difficile, mais moi j'ai un but à atteindre ça fait que j'essaye de l'atteindre, quoi tout simplement, autant aimer ce qu'on fait sinon c'est pas la peine>>’. Comment interpréter cette "réponse" autrement que comme une façon détournée de dire la "contrainte" dans laquelle se vivent les activités professionnelles de la famille, et comment conscient de cette éventualité, il tente d'échapper à cet inéluctable "destin" qui semble contraindre la famille à travailler par nécessité.