4.2.1.4. L'USINE

Cette logique de formation, pensée dans les termes de la rupture avec l'environnement, peut également être rapportée aux expériences professionnelles antérieures qui ont constitué un capital d'expériences négatif, ressort d'une volonté d'échapper définitivement à un univers professionnel dépourvu d'intérêt. ‘<<C'est l'usine quoi, c'est-à-dire, on est là pour travailler et uniquement quoi y a que le travail qui ressort...puis à part ça l'ambiance c'est zéro heu c'est froid, c'est nul voilà, tout simplement, c'est nul c'est nul nul nul, on pourrait travailler dans de meilleures conditions et mieux et puis tout le monde aurait le sourire et ça pourrait se passer très bien mais ça se passe pas comme ça...ben les gens travaillent par nécessité, ils croient pas en ce qu'ils font, et puis ils n'ont aucune responsabilité, ils se font chier dans ce qu'ils font, en fin de compte on bosse par nécessité quoi>>.’ La mauvaise ambiance, résultat d'une démotivation, d'un ennui, d'une perte de "désir" parce que le travail est réduit à des tâches d'exécution, est un fléau contre lequel Makram, comme Cyril, veut tenter de se prémunir : ‘<<Je pense que c'est nul d'aller au boulot pour se dire que "faut que je gagne tant à la limite heu si j'bosse pas j'en vivrai mieux" c'est pas vrai j'pense que le boulot c'est important même si on serait pas payé, parce que à rien faire on s'ennuie voilà...>>.’ Le travail est avant tout l'activité, le besoin d'être animé du désir d'agir. On voit ici comment le discours de Makram s'oppose terme à terme au discours de Nadine qui envisagerait bien de ne plus travailler si des opportunités financières compensatrices se présentaient. Mais l'opposition ne peut se réduire à une opposition sexuée. Car le contexte situationnel est peut-être également déterminant pour justifier cette opposition : l'une travaille, l'autre est en recherche d'emploi.

Les expériences de travail vécues sur le mode de la nécessité financière sont d'autant plus mal vécues que le travail est appréhendé par Makram comme une nécessité d'action qui dépasse les seuls termes financiers. Ne trouver comme intérêt dans le travail que le gain financier devient alors insupportable pour qui serait prêt à travailler sans rémunération, tant l'activité est primordiale.

Les pensées libérale et chrétienne avaient au siècle dernier promu la nécessité du travail comme moyen pour lutter contre une oisiveté, mère de tous les vices. Cette oisiveté constitue aujourd'hui un mal auquel la plupart des jeunes rencontrés tentent d'échapper, tant l'oisiveté est devenue symbole d'<<ennui>>. Le travail se construit donc comme nécessité "d'action", davantage que "financière", non pour échapper à une oisiveté tentatrice mais pour fuir un ennui destructeur.