4.2.1.4.1. LA FUITE

‘<<Moi j'veux faire ces deux professions et puis bosser en France, essayer d'mettre beaucoup de sous d'côté c'est-à-dire et puis voyager, aller au Canada, faire un peu tous les pays, pour voir un peu comment ça se passe quoi, pas uniquement rester dans un pays et se borner sur un pays quoi, p't'être que dans d'autres pays y a quelque chose de mieux sans être mieux, pour voir les différentes mentalités, tout ce qui s'ensuit...parce que le boulot c'est d'venu nul mais alors nul, non c'est nul, ils sont nuls>>’, beaucoup de choses viennent se dire dans ces quelques lignes.

Tout d'abord, Makram nous confirme que l'emploi est pensé en termes de <<profession>> et pas seulement de "boulot". Il veut non seulement exercer un "métier", une "profession", parce que c'est dans ces termes-là qu'il peut imaginer l'accès à un emploi intéressant, mais en outre, cet objectif n'est pas pensé comme but ultime, mais comme moyen pour parvenir à concrétiser un autre objectif : partir, voyager.

Alors même que cette catégorie du "voyage", souvent mobilisée par les jeunes, comme ce fut le cas également de Christine, de Cyril et de Xavier B, est généralement évoquée pour échapper à un univers social et professionnel perçu comme enfermant et/ou dénué d'intérêt, Makram semble vouloir "s'offrir le luxe" de mettre au service de cet objectif, l'exercice d'une "profession" qui serait déjà pour beaucoup la réalisation ultime de soi-même. Mais le chemin est plus sinueux encore.

Par un processus de retournement, on parviendra à comprendre combien l'inscription professionnelle de Makram se construit dans un aller et retour incessant entre rêve et réalité. Rêve d'exercer une "profession" qui plaise, qui soit lieu d'épanouissement et d'enrichissement, bien vite dépassé par un autre rêve, celui de "voyager", car ailleurs il est peut-être possible d'échapper à cet univers professionnel qui a perdu tout intérêt - <<c'est devenu nul>> - et auquel il doute de pouvoir réellement échapper.

Mais plus intéressant encore est cette dernière remarque : ‘<<Le boulot c'est devenu nul, mais nul>>’. Comment a pu se construire cet imaginaire d'un passé mythique où le "boulot n'était pas nul", autrement dit, peut-être, travail intéressant ? Par l'expérience familiale, l'expérience de la "communauté" ? Alors même que l'on a toutes les raisons de penser que l'univers professionnel des "pères", comme des "pairs", s'est inscrit dans l'histoire d'une immigration ayant pour support l'exercice d'emplois stigmatisés par la pénibilité, le rejet, et la dévalorisation, le discours de Makram, de façon surprenante, construit un idéal du travail dont on peut se demander à quelle histoire, à quelle mémoire, il fait référence.