4.2.1.4.5. ETRE UN « HOMME »

Cette catégorie "jeune" est une catégorie sociale implicitement marquée par le masculin qui empêche certaines "jeunes femmes", comme nous l'avons vu avec Christine, de trouver dans cette catégorie une catégorie d'identification significative. En revanche pour les "jeunes hommes", cette catégorie "jeune" pourrait se substituer à la catégorie "jeune homme" qu'elle occulte par un processus social bien connu d'universalisation du particulier qui se retrouve dans l'utilisation généralisée du terme "homme" pour définir le genre humain.

Makram ne se définit pas en tant qu'"homme", tout comme Latifa, Nadine, et Christine quoique de façon différente, ne se parlent pas en tant que "femmes". L'intérêt réside donc dans le fait de comprendre et d'expliquer pourquoi ces catégories sociologiques du genre constituées historiquement comme significatives et explicatives de certains phénomènes sociaux ne sont pas réappropriées comme significatives et explicatives de leur parcours d'insertion professionnelle par les individus rencontrés.

On peut tenter d'expliquer ce déplacement des catégories explicatives, des catégories de genre vers des catégories de statut - l'âge - ou des catégories culturelles - l'origine - dans les termes d'une bipolarité sexuelle non signifiante.

Si les jeunes hommes se définissent en tant que "jeunes" plutôt qu'en tant qu'"hommes", c'est peut-être parce que leur situation de jeune homme célibataire "en voie d'insertion professionnelle", qu'ils soient objectivement salariés ou demandeurs d'emploi, ne les inscrit pas dans un statut social d'adulte, celui de "mari" ou de "père de famille", capable de définir le statut social de l'"homme" pourvoyeur des ressources familiales, tel qu'il a été historiquement et socialement construit. Mais c'est peut-être aussi parce que ce modèle de l'"homme" garant des ressources familiales se constitue de moins en moins comme modèle signifiant de la construction identitaire masculine et que d'autres catégories plus signifiantes viennent alors se substituer à une catégorie devenue non pertinente.

Pour ce qui est des femmes, la catégorie "femme" deviendrait pertinente au moment de la construction identitaire de la femme comme "mère", ce que tend à nous montrer, par la négative, l'exemple de Christine.

Ainsi, pour l'un comme pour l'autre sexe, la construction sexuellement différenciée des filières professionnelles ne constitue pas un problème, et encore moins un problème à appréhender dans les termes de la différence des sexes. Autrement dit, la spécificité des filières professionnelles de l'un et l'autre sexe n'est pas pensée comme facteur explicatif de parcours d'insertion professionnelle difficiles. L'assignation sexuellement différenciée au marché du travail ne sera jamais évoquée au cours des entretiens réalisés, témoignant d'une parfaite indifférence aux campagnes officielles visant la "diversification de l'orientation professionnelle des filles".

Ce n'est donc pas en tant qu'"hommes" ou "femmes", "filles" ou "garçons", que les "jeunes" rencontrés se présenteront, car c'est bien justement comme "jeunes" qu'ils sont la plupart du temps catégorisés, que ce soit par les sociologues, par les professionnels de l'insertion, ou par le pouvoir politique. Ils ne feraient alors, mais plus facilement les "hommes" que les "femmes", que reprendre à leur compte les catégories officielles construites pour les définir comme sous-population significative de problèmes spécifiques.

Les catégories du genre ne m'apparaissent donc pas comme des catégories ontologiques attachées au sexe biologique et vécues comme telles, mais davantage comme des catégories sociales construites qui deviennent signifiantes dès lors qu'elles viennent justifier un statut particulier qu'elles pourront expliquer. Les hommes pourraient alors avoir de plus en plus de difficultés à se penser en tant que tel dans la mesure où les rôles sexuels attachés à chacun des sexes au sein de l'entité familiale sont de plus en plus homogènes, du fait d'une répartition des rôles de moins en moins tranchée. Les femmes quant à elles conserveraient, jusqu'alors, pour la plupart d'entre elles, cette possibilité de se penser comme "femmes", car différentes des "hommes", dans cette faculté qui leur est propre de mettre au monde les enfants.