4.2.2.1.2. LE CONTRAT DE QUALIFICATION

A ce point du discours de Sylvain, une rupture va s'opérer. Il avait clos "l'épisode" précédent : ‘<<Y avait un mois d'essai et c'était bon.>>’ Point. Je profitais de la pause qu'il m'offrait pour lui poser une question sur la formation qu'il venait d'évoquer suite à ma relance précédente : ‘<<Et votre Bac Pro vous l'aviez fait où ? >>. ’

‘<<à vrai dire mon Bac Pro, j'ai eu, j'l'ai pas fini, c'était un Bac Pro en deux ans quoi, deux semaines en entreprise et une semaine l'école et j'ai pu faire que dix mois parce que l'entreprise m'a licencié pour des raisons budgétaires comme j'ai pas trouvé un autre tuteur, ben j'suis parti à l'armée, c'est pendant cette période que j'ai contacté Madame X quand je cherchais un autre tuteur, en fait, je cherchais pas spécialement une entreprise qui me prendrait en contrat de qualif mais euh quoi n'importe quel boulot>>.’ Comme Paulo et Frédéric, Sylvain n'aura pu mener à bien son projet de qualification pour cause de licenciement économique. Cette "rupture" dans le discours nous aura permis de revenir à l'évocation de sa première prise de contact avec la Mission Locale lors de sa recherche d'emploi.

Comment comprendre un discours qui nous place, a priori, au coeur d'une contradiction : ‘<<J'ai contacté Madame X quand je cherchais un autre tuteur, en fait, je cherchais pas spécialement une entreprise qui me prendrait en contrat de qualif mais euh quoi n'importe quel boulot.>>.’ Il est à la recherche d'un autre tuteur afin de pouvoir terminer le Baccalauréat Professionnel qu'il a commencé précédemment, autrement dit, il recherche un contrat de qualification, seule forme de contrat pouvant lui permettre de conclure cet objectif, mais <<en fait>> il recherche <<n'importe quel boulot>>. Contradiction qui pourrait être appréhendée comme typique de la situation du jeune "qui ne sait pas ce qu'il veut". Situation qui a été appréhendée, par ailleurs, notamment par Chantal NICOLE-DRANCOURT, comme caractéristique d'un profil de jeunes ayant un rapport très positif à l'emploi : ‘<<Jeune très mobile, prêt à "prendre n'importe quoi" pourvu qu'il fasse quelque chose>>’ 250. Concernant ce jeune, j'adhère tout à fait à son hypothèse ; je la prolongerai, en prenant le temps d'avancer dans le discours et ses sinueux cheminements pour arriver peut-être à y voir autre chose encore.

à moins de n'entendre déjà, dans cette figure inversée, par le jeu d'une ellipse : ‘<<Je cherchais un autre tuteur (...) en fait n'importe quel boulot>>’. Expression "raccourcie" d'une situation où le "choix" du contrat de qualification logistique initial s'est construit au hasard d'une rencontre qui aurait pu prendre "n'importe quelle autre forme", et ne s'apparente alors peut-être à rien d'autre qu'à ‘<<n'importe quel boulot>>’. La suite de l'entretien viendra confirmer cette hypothèse.

Ce qu'il faut également retenir ici est l'opposition qu'il pose indirectement en énonçant sa recherche d'emploi, non plus par la catégorie du travail, mais par celle du <<boulot>>. Quand l'énoncé se rapporte à une recherche d'emploi non signifiante - <<n'importe>> - le travail se décline dans les termes du boulot. Cette procédure d'énonciation, très commune quand il s'agit pour les individus d'évoquer le caractère instrumental du travail, comme nous l'avons observé précédemment avec Christine, Nadine et Makram, est ici doublement significative en ce qu'elle se réfère à la recherche d'un contrat de qualification, qui se voit confirmé une fois encore dans son statut purement instrumental ; simple vecteur d'un projet de formation qui dépasse largement le cadre de ce contrat.

Notes
250.

1994, p 56