4.2.2.2.3. LOGIQUE DE CAPITALISATION

Une autre relance viendra nous renseigner de façon tout à fait significative sur le sens que Sylvain accorde au travail. Le secteur du transport et de la logistique ayant été "choisi" au hasard, je me risquais à lui demander : ‘<<Et qu'est-ce qui fait que vous êtes resté ?>>, <<Qu'est-ce qui m'a plu ? ce qui m'a plu c'est que c'était un peu physique et mentalement et puis on était directement impliqué dans l'entreprise c'était pas que la théorie comme au lycée (...) puis en plus ça faisait de l'expérience, ça faisait bien sur le CV>>’. Deux choses vont retenir notre attention.

Tout d'abord, Sylvain va reformuler ma question, que j'avais voulue la plus neutre possible, de façon tout à fait significative. Il est resté parce que cela lui a plu. La première condition qu'il va spontanément mentionner pour rester dans un emploi n'est pas celle du salaire, des relations professionnelles, de la proximité géographique, mais celle du plaisir. Comme la majorité des garçons rencontrés, mais comme très peu de filles, Sylvain posera la catégorie du plaisir comme catégorie fondamentale au principe de sa conduite d'insertion professionnelle.

Enfin, significatif également sera l'enchaînement de son argumentaire. Ce secteur professionnel lui a plu, parce que légitimant son déclassement scolaire par la réappropriation du discours dominant sur la formation en alternance, il peut enfin allier la théorie à la pratique, mais surtout, il est resté parce que cette expérience, professionnellement très valorisée constitue un capital qui sera monnayable sur un curriculum vitae, pour la recherche d'autres emplois.

Dans cette logique, le hasard du choix du secteur d'activité n'empêche pas Sylvain de se projeter à moyen et long terme dans cette branche d'activité : ‘<<Je pense pas changer de branche, je pense pas m'orienter vers autre chose et donc la preuve là je me suis inscrit à un CAP-BEP, en candidat libre, que je vais passer la semaine prochaine, puis peut-être que l'année prochaine je passerai un Bac Pro, en candidat libre, pour passer un Bac Pro il faut obligatoirement un CAP-BEP>>’. Car son "projet" professionnel se construit, comme pour Latifa, avec pour objectif l'acquisition de diplômes, et comme support, le secteur d'activité du transport et de la logistique. Et ce contrairement à Makram qui construit un projet de professionnalisation dans des "métiers" qui ne sont pas des supports mais des objectifs, même temporaires.

Ainsi, la recherche de <<n'importe quel boulot>> n'est plus contradictoire. Il s'agit en effet de trouver un boulot, "n'importe lequel", puisqu'il pourra toujours se trouver "support" d'une volonté d'acquisition de diplômes, symboles de niveau, pas seulement scolaire mais aussi social.

Le contrat de qualification initialement choisi s'est inscrit dans une logique d'acquisition de diplôme et non de recherche d'emploi où l'entreprise apparaît clairement de nouveau comme "support" de la formation : ‘<<Quand ils m'ont licencié, l'IFTIM ils m'ont gardé, je continuais toujours à prendre les cours, j'étais toujours dans la classe>>.’ Formation dont il n'a pas perdu l'objectif puisqu'il continue son parcours selon la même logique. Le licenciement ne sera à aucun moment évoqué dans les termes de la plainte ou du regret.