4.2.2.3.3. L’AMBIANCE

C'est donc en toute logique qu'il va poursuivre cette description par le type de rapport à l'environnement humain qui prévaut dans les entreprises : ‘<<Je préfère travailler dans une boite plus grande par rapport comment je dirais, ben, à la camaraderie quoi, puis les relations humaines quoi, parce que dans la petite entreprise j'étais tout seul dans le dépôt tandis que là je travaille dans une bonne, là c'est pas pareil, là y a l'esprit d'équipe, ça change tout (...) le chef est pas trop exigeant du moment qu'on fait le travail qu'il faut c'est parfait...il est bien sympa, il veut qu'on se tutoie, il a l'esprit d'équipe>>’. Le monde du travail se pense alors dans les termes du type de relations que l'on établit au sein de l'entreprise, relations fondées sur la hiérarchie ou l'égalité, sur l'isolement ou la coopération,...autant de modalités relationnelles qui construisent une vision du monde professionnel où peut se penser le rapport au travail.

Ainsi s'éclaire peu à peu, en contrepoint, la teneur de l'expérience professionnelle du contrat de qualification. à l'isolement se sont ajoutées des modalités relationnelles fondées sur la hiérarchie, et non sur la coopération, conférant à l'activité de Sylvain un caractère de simple exécutant qui vient justifier la traduction de cette expérience en termes de <<fonction>>.

Ce qui se dessine peu à peu est davantage le manque d'intérêt pour les tâches exécutées et le manque de considération du responsable de l'entreprise à son égard, que la "précarité" proprement dite du contrat. Comme Christine, Nadine et Makram, comme Cendra, Nagette, Agnès, Sandra, Fahra, Sami, Xavier B et Cyril, Sylvain met en question des modalités relationnelles fondées sur l'abus de pouvoir qui auront rendu bien davantage "problématiques" ces expériences de travail temporaires que le caractère "instable" des contrats.

Le contrat de qualification s'inscrit doublement dans une logique de mise à distance. Sylvain en fait l'option afin de valider un niveau de formation, le <<Bac Pro>>. Il s'agit pour lui, comme pour Latifa, d'échapper à l'identité d'un jeune non diplômé. Mais cette expérience professionnelle, envisagée initialement comme purement instrumentale, simple support "juridique" d'une formation devant lui permettre d'échapper à ce statut dévalorisant de jeune non diplômé, se révèle dans la pratique une expérience également peu valorisante, à laquelle il ne regrettera pas d'échapper, son licenciement n'ayant pas paru problématique.

La question relative à l'ambiance de travail a de nombreuses fois été abordée par les sociologues pour traiter du rapport spécifique des femmes à l'emploi. Comme le souligne Claude DUBAR : ‘<<Si l'on s'appuie sur les discours des femmes restitués dans les rapports de recherche, il semble bien que pour elles, le contenu de l'activité de travail ait moins d'importance que l'indépendance financière et l'univers relationnel. Certes ceci n'est qu'une hypothèse mais elle est suffisamment répandue dans la littérature sociologique (R.Sainsaulieu (77), J.Laufer-Huppert (82) et N.Gadrey (92)) pour mériter d'être soumise à une confrontation sérieuse avec les discours des intéressées. Si cette hypothèse était juste elle signifierait que le rapport à l'activité (emploi) des femmes est différent de la notion classique d'engagement professionnel (commitment) forgée à partir des métiers et professions essentiellement masculins. En effet, le profissional commitment implique l'anticipation d'une carrière, l'identification à un groupe professionnel ou à une entreprise, l'implication dans une forme d'organisation collective visant à consolider et à faire reconnaître son appartenance. Il concerne en priorité le monde des professions libérales, des cadres et des couches moyennes toujours menacées de dévalorisation sociale. Il peut concerner aussi certains métiers d'ouvriers qualifiés. Il concerne très peu le monde des employés, fortement féminisé et constituant une "nébuleuse" de situations d'emplois, de statuts et d'activités, à la fois peu codifiés et peu organisés collectivement.>>’ 252L'analyse que propose Claude DUBAR, confrontée aux récits des entretiens que j'ai pu réaliser, m'invite à penser que ce rapport à l'activité, jusque-là caractérisé comme "féminin", relève davantage des caractéristiques propres des emplois occupés et des modes d'organisation des entreprises, que d'une caractéristique proprement féminine. Les marchés du travail se sont profondément restructurés au profit d'une plus grande homogénéisation, qui tend au développement d'emplois moins marqués par la différence des sexes, au détriment des métiers où prédominaient une forte identité masculine. Sylvain, comme Makram, Paulo, Cyril, Xavier B et Sami, mentionnera les relations de travail comme importantes, voire déterminantes dans l'appréciation d'un emploi. Revendiquer "une bonne ambiance de travail" pour caractériser le travail tel qu'il devrait être n'est donc pas l'apanage des seules femmes.

Notes
252.

1994, p 287