4.2.2.3.4. LE TRAVAIL : NECESSITE DU PAUVRE

L'entretien va se poursuivre sur ce que représente le travail pour Sylvain. Il venait de me parler des relations de travail, du rapport à la hiérarchie.

Je profitais d'une nouvelle interruption, non pas pour procéder à une relance, mais pour ouvrir sur une question centrale, la question centrale de cette recherche. Abruptement, je lui demandais donc : ‘<<Et plus généralement, qu'est-ce que cela représente pour vous, le fait de travailler ?>>.’ Cette "erreur" professionnelle allait "fausser" les résultats puisque la réponse allait être dès lors directement induite par ma question et de surcroît inscrite dans la continuité de ce qui venait d'être énoncé. Sylvain venait de me parler de ses rapports à la hiérarchie, comment cette question allait-elle s'en trouver orientée ? Cette erreur méthodologique devait-elle impliquer pour autant l'abandon de l'entretien, et ultérieurement le rejet de toute analyse ? Je décidais que non, et c'est tel quel que je vous présente ce "dérapage".

L'effet de surprise fut immédiat, tant la question parut incongrue. Mais la surprise dépassée, le discours s'engagera sans réticence, avec même beaucoup de plaisir.

‘ <<Le travail ? Le travail en général ? ben c'est c'est dans la société actuelle c'est quelque chose d'irremplaçable, quoi de vital de, sauf pour quelqu'un qui est riche mais là comme je suis dans les français moyens il faut un travail, même euh même les mecs qui se mettent au chômage exprès moi j'suis pas j'suis pas dans cette catégorie, j'préfère travailler quoi être occupé plutôt que être au chômage et toucher rien du tout à la fin du mois.>>’. D'emblée, le travail est présenté comme la contrainte incontournable de celui qui n'a d'autres moyens pour vivre que de vendre sa force de travail. Le travail est la nécessité du pauvre, mais ce n'est pas que cela, puisque si certains arrivent à survivre sans travailler, il n'aspire pas à ce modèle du "chômage volontaire", car le travail, comme pour Makram avant lui, comme pour Johan, et comme pour la plupart des jeunes hommes que nous rencontrerons, c'est aussi l'action, la nécessité d'agir.

C'est, en outre, une nécessité qu'il faut aujourd'hui protéger, tant la concurrence est devenue sévère : ‘<<Sur la place y a trois millions de chômeurs du moins y en a qui voudraient être à ma place>>’. Travailler est devenu un privilège qu'il faut se donner la peine d'entretenir, alors qu'il y a à peine deux siècles c'était encore la honte de ceux qui ne pouvaient faire autrement.