4.2.2.3.5. ETRE UTILE

Mais travailler c'est aussi se sentir utile : ‘<<J'ai déjà été six mois au chômage, je sais ce que c'est le fait de se tourner les pouces, d'écrire des lettres, euh, c'est pas la même vie, quand même là j'me sens vraiment utile, quand même par rapport à la société j'suis utile.>>’ L'expérience du chômage suite à son licenciement du contrat de qualification a marqué, durant six mois, son existence du sceau de l'inutilité et tout devient préférable au chômage : ‘<<Quand j'étais à l'armée je me sentais mieux déjà, le fait d'être casé comme ça, comme les camarades, pareil...t'es utile dans l'armée, aussi j'avais la responsabilité, que je servais à quelque chose>>.’ Il s'agit moins dès lors d'avoir une activité professionnelle rétribuée par un salaire que de participer comme les autres à une action, une activité appréhendée comme utile socialement.

Comme Christine et Makram avant lui, Sylvain va construire la catégorie de l'"utilité" comme catégorie justificative de sa conduite. Catégorie généralement construite comme "féminine", cette catégorie de l'utilité se révèle peu à peu à nous davantage élaborée de façon signifiante par les hommes que par les femmes, venant ainsi remettre en question la construction sociale d'une catégorie pensée comme spécifique à un sexe féminin tout entier tourné vers la nécessité de se rendre "utile" aux autres. Latifa et Nadine n'auront pas mobilisé cette catégorie pensée comme traditionnellement "féminine".

L'évocation du travail a donc amené Sylvain à un long développement sur le chômage. Ma relance sur ce que représentait le travail s'inscrivait immédiatement après la description de son univers professionnel actuel appréhendé sous l'angle des relations professionnelles, on pouvait donc s'attendre à ce que le contexte discursif précédent oriente la "réponse" sur la même thématique, celle des relations professionnelles. Or, il nous parlera du chômage, alors même qu'il est actuellement en situation d'actif stable.

Ce n'est donc ni le contexte situationnel objectif actuel, ni même le contexte discursif précédent la relance qui vont orienter sa réponse. Est-ce alors le symbole que je représente pour lui, conseillère en insertion chargée d'aider les jeunes demandeurs d'emploi, qui le portera à évoquer le travail dans les termes de ce qu'il n'est plus, le chômage ? Ou alors, est-ce un sentiment de fragilité diffus qui porte à sa conscience la précarité relative de son statut actuel, quand bien même il est embauché ?