4.2.2.4.1. SE QUALIFIER

Ayant tenté d'évoquer les difficultés du vécu de son chômage, il enchaînera sur la nécessité que représente pour lui l'obtention de diplômes : ‘<<à l'époque, donc, j'venais de, j'voulais à tout prix un diplôme, il me fallait à tout prix un diplôme, même le fait là que je suis pris en CDI, je peux rester à vie là-bas mais faut quand même un diplôme, au cas, oui c'est très important, non seulement pour peut-être monter en grade dans l'entreprise, ou peut-être même avoir une autre offre>>.’ L'évocation du chômage génère une "sortie" par la référence à la certification. C'est par le recours à la qualification qu'il considère pouvoir échapper à la menace du chômage, témoignant d'une parfaite intégration du discours dominant sur la valeur des diplômes. Le diplôme pourra selon le cas, permettre d'échapper au chômage, ou permettre de chercher un emploi plus intéressant ou plus rémunérateur.

On notera surtout que cet enchaînement de relances et questions, questions qui iront même jusqu'à couper le discours, n'empêchera pas Sylvain de revenir aux deux pôles qui tissent la trame de son discours depuis le début, la formation et l'exercice de son activité actuelle. On peut alors se demander si la pratique d'incessantes relances ne contribue pas, contrairement à ce qui était préalablement imaginé, à renforcer la trame de l'énonciation, en obligeant Sylvain à "s'accrocher" à la cohérence de son discours face aux assauts qui tentent de l'en distraire. Dès lors, ne serait plus à l' oeuvre un processus de dépossession du discours de l'interviewé par le détournement constant de l'interviewer, mais tout au contraire, se mettrait en place un processus de "défense" qui contraint l'interlocuteur à renforcer la cohérence de son argumentation.

Mais on peut également interpréter la récurrence de cette trame discursive, construite autour des deux pôles que constituent la formation et l'exercice de l'activité professionnelle actuelle, comme le moyen que construit Sylvain pour se conformer à ce qu'il suppose que j'attends de lui et ainsi par là même échapper à l'emprise que j'exerce sur lui. En m'offrant un discours qu'il pense adapté pour satisfaire une conseillère de Mission Locale qui a de par son rôle professionnel deux missions principales, distinctes et complémentaires, à remplir : permettre l'accès des jeunes à la qualification, posée comme indispensable, et aider les jeunes dans leurs démarches de recherche d'emplois, il espère peut-être ainsi clore au plus vite cet entretien. Les dérapages évoqués se révéleraient bien alors à la mesure de leur danger, et le discours analysé ne serait que le produit d'une réaction de défense légitime de celui qui n'a pas pu maîtriser la relation d'entretien.

L'exposition de ces dérapages a été pensée dans la volonté d'exemplifier, par la caricature, la nécessité qui s'impose de prendre en considération le contexte de production de l'entretien. Que ces dérapages constituent des erreurs méthodologiques, ou qu'ils s'avèrent en définitive efficaces, il n'en demeure pas moins qu'ils interfèrent dans la production du discours.

Il est nécessaire de prendre conscience de la neutralité impossible de ma position, qu'elle soit celle de conseillère "enquêtrice" ou de sociologue, mais cette neutralité impossible n'est pas à déplorer, mais à travailler, à comprendre, à contextualiser pour que le discours de Sylvain s'éclaire dans cet échange signifiant.

Si lors du dernier épisode d'entretien présenté, il est clair que je souhaite imposer mon questionnement à Sylvain, poussant même jusqu'à l'interrompre, témoignant par là même à quel point mon problème - savoir comment il avait vécu cette période de chômage - a débordé la situation, il n'en est pas moins évident que ce vécu du chômage était également posé préalablement comme problématique pour Sylvain. Autrement dit, ce ne sont pas mes questions qui ont faire advenir comme "problématique" ce moment de la vie de Sylvain, elles n'auront, au pire, que différé sa mise en mots.

Il ne s'agit pas, bien évidemment, de justifier après coup ce qu'il est généralement convenu d'appeler des "erreurs" méthodologiques, puisqu'il aurait été alors plus simple pour moi de ne pas procéder à l'exposition-analyse de cet entretien, mais de livrer le doute dans lequel me plonge cette illustration quant à la pertinence de la moindre directivité.