4.2.2.4.2. SE METTRE A SON COMPTE

Sylvain avait évoqué la difficulté du vécu de sa période de chômage, et trouvé comme issue à cette évocation douloureuse une nécessaire qualification. Mais il viendra trouver une autre issue discursive à cette "qualification inaccessible", où ce qui est en jeu à nouveau est la nécessité du travail pour vivre : ‘<<Je vous parle du boulot, mais c'est, admettons que je gagne au loto, ça c'est sûr que je travaille plus, ça c'est sûr quoi comme tout le monde, j'avais une idée quoi de me mettre à mon compte, peut-être monter une entreprise ou un commerce>>.’ Le travail est implicitement posé comme l'activité du salarié, celle du pauvre qui n'a pas hérité ou empoché le gros lot de la Loterie Nationale. Par un enchaînement discursif significatif, appuyé sur une opposition réalité-rêve, Sylvain va opposer à l'activité salariée l'activité de l'entrepreneur qui, elle, n'est pas appréhendée comme un travail. Pour Sylvain ‘<<être indépendant, être mon propre patron>>’ est un projet qui doit être rapporté à la période de désillusion qu'a représentée sa période de chômage, et qui nourrit là aussi l'apparent paradoxe du militant politico-syndical : ‘<<J'y avais pensé suite aux lettres de refus des entreprises, j'avais pensé me mettre à mon compte...j'étais un peu dégoûté du Patronat...parce que moi je suis assez politicien...communiste...là je suis sur la liste d'Union de la Gauche>>’. Le militantisme affiché de Sylvain au parti communiste ne l'empêchera donc pas de s'imaginer dans la peau de ces patrons qu'il réprouve. Comme Annie, Vincent et Xavier B, Sylvain expose la possibilité de se lancer dans l'aventure de la création d'entreprise.

Pour Sylvain le salariat ne constitue pas nécessairement l'objectif ultime de son itinéraire d'insertion professionnelle. Car c'est à la fragilité, autrement dit à la précarité, du statut de salarié face à celui d'indépendant qu'il souhaiterait pouvoir échapper. Les difficultés qu'il a ressenties lors de sa période de chômage, ne font pas référence à l'instabilité des contrats de travail que l'on pouvait lui proposer, mais à la fragilité de son statut de potentiel salarié demandeur d'emploi, à la merci du bon vouloir des chefs d'entreprises auxquels il adressait des lettres de candidatures.

Si précédemment, lorsqu'évoquant sa situation actuelle il procédait à une comparaison entre chômeurs et salariés, qui le plaçait dans une position que l'on pouvait entendre comme "privilégiée", l'évocation de sa période de chômage l'amène à recontextualiser cette comparaison et à établir une opposition entre la fragilité du statut des salariés et les avantages du statut d'indépendant. Une fois encore, on peut saisir les processus de contextualisation à l' oeuvre dans les procédures d'énonciation qui amènent les individus, ici Sylvain, à des déplacements de sens significatifs des contextes auxquels ils se rapportent. Sylvain ne vit donc pas sa situation de salarié comme davantage privilégiée que fragile, ou vice versa. Elle est, selon le "moment" de l'exposition, privilégiée au regard des demandeurs d'emploi et fragile au regard des entrepreneurs.

La fragilité qu'évoque Sylvain renvoie donc bien davantage à une notion de dépendance, dépendance des demandeurs d'emploi tout comme des salariés en activité à l'égard de leurs employeurs, qu'à l'instabilité de contrats de travail à durée déterminée.