4.2.2.5.2. FAIRE CARRIERE

De la même façon, l'emploi occupé par Sylvain lors de l'entretien, ‘<<responsable de rayon>>’ dans un hypermarché, est vecteur d'un projet de promotion interne, alors même qu'il faut accepter de se plier à des conditions de travail pénibles que beaucoup ne semblent pas accepter : ‘<<Les horaires sont durs, le boulot est dur (...) la majorité des personnes qui travaille à Continent pense vraiment pas rester là-dedans>>.’ Mais pour lui, il s'agit de "s'accrocher" car la réussite est à ce prix : ‘<<Dans les grandes surfaces, je crois que les gens spécialisés sont rares mis à part les chefs de rayon...je vois à Continent ils prennent plus d'intérimaires, dans ce genre, c'est des gens qui cherchent un petit boulot en fait, tandis que moi je veux faire carrière, je sais pas si je ferai carrière dans la grande surface, mais je sais que je ferai carrière dans cette branche>>’. En rupture avec son passé scolaire, "général et théorique", Sylvain construit son "identité visée" de professionnel sur la "spécialisation" qui, au contraire des intérimaires en recherche de n'importe quel <<petit boulot>>, lui permettra d'envisager un plan de carrière. Carrière qui se construira dans les métiers de la grande distribution.

Cette double rupture, "biographique" et "statutaire" vient justifier et renforcer le caractère qu'il veut exceptionnel de son parcours. Si les "autres" ne pensent pas faire carrière dans ce secteur où le travail est <<dur>>, c'est qu'ils refusent une "professionnalisation-spécialisation" qui l'a obligé lui, à faire le deuil d'un passé marqué par l'incertitude du "général et théorique". Se spécialiser c'est accepter le jeu d'un processus d'identification qui va le qualifier professionnellement, et ainsi l'opposer à ceux - les <<intérimaires>> - qui préfèrent l'indétermination, la non-qualification qui pourrait devenir disqualification et se contentent de chercher <<un petit boulot>>. Mais cette "professionnalisation-spécialisation" n'est qu'une étape de stabilisation transitoire qui s'inscrit dans un parcours pensé dans les termes de la carrière et dans une logique de mise à distance d'une identité professionnelle virtuelle non acceptable.

Se dessine peu à peu un parcours construit sur des enchaînements de mise à distance d'identités professionnelles non signifiantes. Le contrat de qualification avait été "choisi" comme forme d'emploi devant lui permettre d'obtenir une qualification qui lui permettrait d'échapper à l'identité stigmatisante de jeune non qualifié. Ce contrat sera également mis à distance, car la prédominance d'un environnement professionnel marqué par des rapports de type "hiérarchique", et par un fort isolement, n'aura pas donné envie à Sylvain de prolonger, voire de renouveler l'expérience. Aujourd'hui enfin, qu'il est embauché en contrat à durée indéterminée, il poursuit la construction de son parcours d'insertion professionnelle dans une perspective de <<carrière>>, mais qu'il n'envisage pas nécessairement dans la même entreprise, nous signifiant par là même l'insatisfaction relative dans laquelle il doit se trouver.

Ainsi, non seulement une mesure d'insertion telle que le contrat de qualification est réappropriée comme seul support d'une logique de certification, mais en outre, un contrat de travail à durée indéterminée sera lui aussi l'objet d'une procédure de mise à distance, puisqu'envisagé comme seule étape transitoire dans un parcours pensé dans une perspective de <<carrière>>. La stabilisation professionnelle, telle qu'elle est entendue traditionnellement comme accès à un emploi "définitif", ne semble pas être l'objectif de Sylvain. Comme la plupart des jeunes que je rencontrerai, à l'image de Latifa, de Christine, de Nadine ou de Makram, Sylvain n'aspire pas à une stabilité qui rime avec immobilité. Le ressort de son parcours s'appuie sur la nécessité d'une ascension tant professionnelle, que scolaire et sociale, pour laquelle il est prêt à sacrifier cette stabilité relative pourtant acquise.