4.2.2.7.2. DU BOULOT AU METIER

‘<<C'est vraiment quelque chose de vital le métier et le boulot (Relancé sur ce qu'est le métier...)le métier c'est plus la carrière (...), mais, non en fait, j'ai un boulot enfin je suis employé, j'ai un boulot, mais je peux pas encore parler de métier, trois mois, mais je pense que plus tard ce sera vraiment un métier, je pourrai appeler un boulot un métier quand vraiment j'aurai beaucoup d'expériences (...) j'ai une petite expérience quoi parce que j'ai fait dix mois d'Eco Système donc moitié école moitié boulot, dix mois à l'armée donc là on peut pas appeler ça travail quoi j'vivais j'vivais avec cette responsabilité, en fait l'armée pour moi c'était une occupation, j'appellerais plus ça une corvée, quoi, une besogne... une fonction dans un régiment quoi, je suis une pièce d'un puzzle>>.’ Le métier s'apparente donc à une expérience professionnelle vécue sur la durée et validée davantage par l'expérience et le temps que par une qualification, tout comme l'avait évoqué avant lui Makram. Ce qui n'apparaît pas le moindre des paradoxes pour quelqu'un comme Sylvain qui a promu l'acquisition de diplômes au premier rang de ses préoccupations. Mais plus intéressant encore est la mise en parallèle du <<boulot>> et du <<métier>>, le <<métier>> n'étant qu'un <<boulot>> exercé suffisamment longtemps pour pouvoir se prévaloir du qualificatif de <<métier>>.

Dans le système de valeurs de Sylvain, le <<métier>> s'inscrit donc comme principe nécessaire - <<c'est vital>>, tout comme le <<travail>>, ou le <<boulot>>, toutes expressions utilisées quasi indifféremment et qui viennent définir le travail comme nécessité - <<le travail qu'il faut>>. La procédure d'énonciation qu'utilise Sylvain en justifiant - <<j'ai un boulot>> - par - <<enfin, j'suis employé>>, autrement dit "je suis salarié", nous renseigne sur le caractère "problématique" car polysémique de cette dénomination - <<j'ai un boulot>> - car il se sent dans la nécessité de préciser le cadre d'exercice de ce <<boulot>> - <<je suis employé>>.

Mais c'est la référence à <<l'occupation>> de l'armée appréhendée dans les catégories de la <<corvée>> et de la <<besogne>>, opposée dans l'énonciation au "travail" - <<on peut pas appeler ça travail>>, qui nous permet d'entrevoir une subtile différence entre une nécessité vécue comme contrainte de la <<besogne>> que symbolise l'armée, et une nécessité intériorisée au point de se vivre comme une évidence - <<le travail qu'il faut>>.

La fin de l'entretien viendra nous livrer un dernier indice sur la vision du monde professionnel de Sylvain. ‘<<On peut pas se permettre d'être...je veux dire de faire un travail à l'arraché, pour moi personnellement je peux pas me permettre, je veux dire faire le travail qu'il faut mais un peu bâclé,...pas stimulé, être ailleurs dans le travail, oui faut que ça nous plaise bien sûr, là j'ai de la chance de faire un métier qui me plaît, c'est sûr si je fais un métier qui me plairait pas...je chercherais ailleurs ça c'est sûr mais je partirais pas sans avoir trouvé>>.’ Ainsi, le glissement de sens opéré par le discours - de travail à métier - traduit bien le passage qui se réalise d'une catégorie de la nécessité - le travail - à une catégorie du plaisir - le métier, par le basculement de ce qui, de la contrainte, devient liberté ; liberté d'aller chercher ailleurs.

Si Sylvain oppose désormais le <<travail>> au <<métier>>, c'est qu'il ne fallait pas se contenter préalablement d'entendre le <<métier>> comme un <<boulot>> exercé plusieurs années. Il fallait déchiffrer derrière cette temporalité le plaisir qui en était la condition. C'est parce que le <<boulot>> pouvait devenir un travail intéressant, plaisant, que son exercice pouvait s'envisager sur plusieurs années et donc le <<boulot>> devenir <<métier>>.

Ainsi comme nous allons le voir encore, le travail est une nécessité incorporée qui n'est pas remise en question, mais cette nécessité n'est pas "subie" comme une fatalité du destin, cette nécessité est négociée. Elle est négociée à la condition du plaisir.