4.2.3.1.2. LE TRAVAIL

Johan est donc parvenu à décrocher un emploi en contrat à durée indéterminée, qu'il va me décrire avec force détails : ‘<<Là je fais du gardiennage, c'est-à-dire que aussi bien j'suis à la Raffinerie si y a besoin aussi bien j'suis chez Hermès et là on fait uniquement les week-ends qu'avant on faisait la semaine plus le week-end et maintenant on fait que les week-ends donc on fait beaucoup du 12 heures c'est-à-dire de 5h du matin à 5h de l'après-midi, 5h de l'après-midi à 5h du matin, le week-end, et puis la semaine c'était beaucoup du 8 heures, c'est-à-dire de 21h à 5h du matin et puis autrement qu'est-ce qu'y a d'autre, ben la Raffinerie c'est surtout du 8 heures donc ça peut être aussi bien 5h-1h de l'après-midi, 1h de l'après-midi 21h...et on a le droit à deux jours de repos par jour dans la semaine, obligatoire, donc c'est soit ça tombe en semaine soit en week-end c'est très rare en week-end>>’. L'emploi occupé est décrit, avec beaucoup de précision, par le rythme de travail. Le travail se présente en termes d'horaires et accessoirement de secteur d'activité - <<je fais du gardiennage>> - et de lieu. Il ne se présente pas, d'emblée, par le contenu de travail, par le poste occupé, ni même par le statut. Et que vient nous dire cette description pointilliste de l'emploi du temps ?

‘<<On essaie de s'arranger parce qu'on est quand même plus de 250-300, c'est-à-dire qu'on n'est pas que sur Rhône-Alpes, on est partout, Marseille, Bordeaux, toutes les grandes villes, et puis là ben c'est moi qui ai trouvé par moi-même, alors mes parents étaient un peu surpris parce que bon c'est vrai y avait pas les parents à côté, c'est pas simple quoi parce que je suis fils unique, et ils m'ont dit bon ben c'est déjà, là-bas maintenant il faudrait pouvoir y rester comme c'est un contrat indéterminé, j'pense que ça va suivre son chemin quoi>>’ ; l'énoncé de Johan atteste d'un processus d'identification à l'entreprise - <<on>> - d'autant plus fort qu'il a lui-même trouvé cet emploi. Fier de faire partie d'une entreprise qui quadrille l'hexagone, sa fierté est redoublée de l'exploit qu'il semble venir d'accomplir en ayant décroché sans l'aide parentale non seulement un emploi, mais un emploi à durée indéterminée.

Après la Mission Locale, les parents sont mobilisés dans le discours pour présenter les "partenaires obligés" des démarches de recherche d'emploi. Mais c'est pour marquer une prise de distance qu'il les mentionne, pour bien renforcer le poids de sa réussite, à laquelle ni les uns ni les autres n'ont participé. Réussite qu'il va sous peu ramener à sa juste valeur : ‘<<Parce que bon c'est toujours pareil, mon père connaît un peu de monde à, dans le personnel de "X", parce que c'est le nom de la société, et donc ça se passe pas trop mal maintenant>>’. C'est en fin de compte le réseau qui a fonctionné, même si ce fut de façon indirecte et à retardement.

‘<<Ce que je regrette un peu envers eux, parce que comme je disais l'autre jour au téléphone c'est que ce fameux planning n'est jamais complet c'est-à-dire que moi je vois j'ai travaillé depuis l'âge de 18 ans, quand on me donnait les plannings c'était toujours complet, c'est-à-dire du 1er janvier par exemple au 31 janvier (...) donc mais autrement non ça se passe bien>>,’ le souci récurrent du rythme de travail trouvera à s'expliciter plus tard dans l'entretien, laissant l'interlocuteur dans l'incompréhension passagère d'une rengaine quasi obsessionnelle, toutefois entrecoupée d'autres thématiques.

On apprend ainsi que son premier contact avec cette entreprise remonte à plus de six ans en arrière, confirmant ainsi la construction d'une relation qui aura permis la concrétisation d'une embauche "définitive". C'est donc par le réseau, parental, qu'il a pu accéder à cette entreprise, mais c'est aussi en ayant fait ses preuves auparavant et peut-être à plusieurs reprises, qu'il aura pu consolider cette relation professionnelle.